
Les images
et les rapports de dévastation sont déchirants. Le
nombre de morts, déjà plusieurs centaines ne cesse
d'augmenter. Des villages entiers ont été effacés. La
réponse du gouvernement haïtien assiégé est anémique.
Les appels angoissés des victimes à l'aide sont
déchirants. Les spectateurs horrifiés du monde entier
souhaitent que quelque chose, soit rapidement faite.
Mais, à la suite du passage catastrophique de
l'ouragan Matthew sur la péninsule sud d'Haïti tôt le 4
octobre, le plus grand danger ne vient pas de la
destruction des récoltes et des infrastructures, la
flambée à venir des cas de choléra, ou l'itinérance
soudaine de dizaines de milliers, mais,
des porte-avions, des troupes étrangères,
des livraisons de produits alimentaires, et des hordes
de travailleurs d'ONG qui sont descendus maintenant sur
Haïti ostensiblement pour aider les victimes de la
tempête.
Cette aide prétendue peut finir par miner la
production alimentaire locale, saboter les élections en
suspens, renforcer l'intervention militaire étrangère,
et généralement subvertir les initiatives prises
récemment d'Haïti à retrouver sa souveraineté.
Nous avons vu ce scénario il y a près de sept
ans, à la suite du tremblement de terre de 7,0 qui a
rasé Léogâne et la région métropolitaine de
Port-au-Prince le 12 janvier 2010. Les États-Unis
avaient déployé 22.000 soldats en Haïti (sans une
autorisation officielle haïtienne), ont occupé
l'aéroport de Port-au-Prince, et
militarisé la réponse humanitaire.
« Des marines armés, comme s’ils allaient à la guerre
», s’était exclamé
l'ancien président vénézuélien Hugo Chavez. «
Il n'y a pas une pénurie d'armes là-bas, mon Dieu. Médecins, médecine,
carburant, des hôpitaux de campagne, voilà ce que les
États-Unis devraient envoyer. Ils occupent Haïti d'une
manière secrète
».
Aujourd'hui, les États-Unis viennent d’envoyer en
Haïti le porte-avions USS George Washington et le navire
américain de transport amphibie USS Mesa Verde, avec
300 Marines
à bord, ainsi que
100 Marines
avec neuf hélicoptères en provenance du Honduras.
En revanche, le lendemain du passage de l'ouragan
sur Haïti, le gouvernement du Venezuela que dirige
Nicolas Maduro, en dépit d'être soumis à une crise
économique et politique d'agression de la part de
Washington, a envoyé 20 tonnes d'aide humanitaire au
peuple haïtien – constituée de nourriture, d’eau, de
couvertures, de draps, et des médicaments. Il a envoyé
deux expéditions de plus dans les jours suivants, la
dernière étant un navire contenant 660 tonnes de
matériel, dont 450 tonnes de machines pour retirer les
débris, réparer les routes et les ponts et 90 tonnes de
denrées non périssables et des médicaments, des
fournitures, des tentes, des couvertures et de l'eau
potable.
Dans cette dernière catastrophe, «
le Venezuela est
le premier à venir au secours d’Haïti
», a déclaré
l'ambassadeur haïtien à Caracas, Lesly David.
À plus long terme, il est probable que Washington
cherchera à utiliser la crise post-ouragan pour
renforcer sa force de substitution, la Mission des
Nations Unies pour stabiliser Haïti (MINUSTAH), qui a
occupé militairement Haïti, en violation du droit
haïtien et international, pendant 12 ans depuis le 1er
juin 2004. Le mandat du Conseil de sécurité de la
mission expire le 15 octobre. Face à la levée de
boucliers haïtiens et internationaux ainsi qu’au retrait
de plusieurs pays clés d'Amérique latine comme
l'Argentine, l'Uruguay et le Chili, Ban Ki-moon,
Secrétaire général de l'ONU,
avait recommandé
la prolongation du mandat de six mois seulement,
jusqu'au 15 avril 2017, au lieu de l'habituel un an,
afin de réaliser «
une évaluation stratégique de la situation en Haïti ».
Cependant, Ban a conditionné ce mandat plus court à
l'espoir que «
le
calendrier électoral actuel sera maintenu
» de sorte
que la « mission d'évaluation stratégique serait déployée en Haïti après le 7
Février 2017 », date à laquelle un nouveau président
élu devra être assermenté.
Maintenant, il est peu probable qu'un nouveau
président sera inauguré ce jour-là. Après Matthew, le
Conseil électoral provisoire (CEP) d'Haïti a reporté
indéfiniment les élections du 9 octobre, ce qui aurait
impliqué le premier tour des présidentielles et le
deuxième tour législatives. Le 12 octobre, le CEP doit
annoncer le nouveau calendrier électoral, il est bruit
que ce soit le dimanche 30 octobre prochain. Autrement,
il pourrait être impossible de tenir deux tours avant le
7 février 2017, alors que des dizaines de milliers
d’électeurs potentiels sur la péninsule sud d'Haïti ont
sûrement perdu leurs cartes électorales, tout comme de
nombreux bureaux de vote – pour la plupart des écoles –
doivent être réparés ou complètement reconstruits. En ce
sens, l'absence éventuelle d'un président élu serait
sûrement utilisée comme une excuse pour l'extension du
mandat de la MINUSTAH, malgré que les Haïtiens soient
presque unanimement opposés à la présence des troupes
qui ont introduit le choléra en Haïti en Octobre 2010.
En ce qui concerne la relation entre la
reconstruction et les élections à venir, le lendemain du
tremblement de terre est également instructif. En tant
que secrétaire d'Etat, Hillary Clinton et l'ancien
président Bill Clinton ont
pris le commandement
de la reconstruction post-séisme en Haïti à travers la
Commission intérimaire pour la reconstruction d'Haïti
(CIRH), puis le président haïtien René Préval est devenu
de plus en plus en désaccord avec Washington. Préval,
avec un ressentiment mal voilé, est presque devenu un
simple comparse, pendant que les Clinton menaient le
bal.
Après un premier tour en Novembre 2010, le CEP
avait déterminé que Jude Célestin, le candidat du parti
de Préval, irait à un deuxième tour face à la première
finissante Mirlande Manigat. Mais Washington est
intervenu (Hillary Clinton personnellement, le 31
janvier 2011), ce qui obligea Haïti à rétrograder
Célestin en troisième place et mettre Michel Martelly en
deuxième position, qui a remporté le deuxième tour Mars
2011.
Est-ce que ca va être le même jeu similaire des
puissances tutrices qui pourrait avoir lieu aux
prochaines
élections en Haïti, en particulier avec l'élection
probable de Hillary Clinton comme le prochain président
des Etats-Unis en Novembre?
Ensuite, il y a la question de l'aide
alimentaire. De toute évidence, il est nécessaire après
la catastrophe de la nourriture dans l'immédiat, comme
celle envoyée par le Venezuela. Cependant, dans le
passé, Washington a utilisé son aide alimentaire pour
écraser et affaiblir la production alimentaire haïtienne
locale. En tant qu'ancien employé de CARE, Tim Schwartz
a expliqué et documenté longuement dans son livre de
2010
“Le travesti
en Haïti: un compte exact des missions chrétiennes,
Orphelinats, la fraude, l'aide alimentaire et le trafic
de drogue”, le rôle de l'aide alimentaire «
n’était pas
principalement pour aider les gens, mais à promouvoir
les ventes à l'étranger de produits agricoles des
États-Unis. Les conséquences ont été dévastatrices à
travers le monde
». Il a apporté, avant tout, la
ruine des petits agriculteurs haïtiens.
« Les Occidentaux voulant aider ne devraient pas supposer qu'il n'y a pas
de ressources disponibles pour les Haïtiens dans le pays
», a écrit Jocelyn McCalla dans
The Guardian
le 6 octobre. «
Alors que les biens de bienfaisance peuvent apporter un
soulagement temporaire, ils peuvent empêcher le
recouvrement à long terme dans la mesure où ils peuvent
avoir un impact négatif sur l'économie locale ».
En 2010, la plupart de l'aide en cas de
catastrophe humanitaire a été canalisée par des
organisations non gouvernementales internationales
(ONGI), et le résultat a été désastreux. Même la fille
des Clinton, Chelsea, a été «
profondément
troublée » de ce qu'elle a vu sur le terrain, écrit
dans
un email déclassifié
à sa mère que l’ «
incompétence est abrutissante », que «
les Haïtiens veulent s’aider eux-mêmes et non la communauté
internationale
pour
les aider à se prendre en main, » parce que «
il n'y a pas de
responsabilité dans le système des Nations Unies ou d'un
système international humanitaire (y compris pour /
entre les ONGI) ».
Aujourd'hui, le gouvernement haïtien, dirigé par
le président par intérim Jocelerme Privert, tente de
prendre le contrôle des efforts et des fonds de secours
destinés à la catastrophe, quand seulement 1% est allé
aux autorités haïtiennes en 2010. Ainsi, il a créé le
Secrétariat Permanent National de Gestion des Risques et
des Désastres
(SNGRD) à travers lequel tous les secours nationaux et
internationaux devraient être canalisés et coordonnés.
Quelle sera la réponse de Washington à cette initiative?
Le gouvernement des Etats-Unis n’avait pas agréé
cette année la formation de la commission de
vérification indépendante créée par le gouvernement de
Privert pour enquêter sur les élections de 2015. Privert
a tout bonnement résisté à la pression de la puissance
tutrice, et la colère est devenue indignation lorsque le
CEP de Privert n’a pas respecté la loi électorale et les
recommandations de la commission de vérification
s’étaient avérées ambigües, sauf pour la reprise des
présidentielles de 2015. Washington et l'Union
européenne ont déclaré qu'ils refusaient tout soutien
financier. Louablement, et quoique à court d'argent,
Haïti n’a pas courbé et a réussi à financer les
élections par elle-même.
Maintenant, il y a une confusion entre le gouvernement
haïtien, ses corollaires locaux et les médias étrangers
sur le nombre de victimes mortelles. À ce jour, les
médias internationaux ont annoncé que près de 900
personnes ont péri, tandis que la Direction de la
protection civile du gouvernement haïtien (DPC) donne un
compte national officiel, partiel de 372 morts, 4 disparus et 246 blessés, avec plus de
175.509 personnes dans
224 abris.
« Une fois que les militaires et les journalistes des États-Unis ont
commencé à évaluer les dégâts de l'ouragan par un
système de comptage de leur propre invention, le nombre
de victimes haïtiennes est monté en flèche, et il n'y
avait plus aucun rapport sur la façon dont les morts ont
rencontré leurs destins
»,
écrit Dady Chéry de
"News Junkie Post"
le 8 octobre. «
En effet, le
nombre des morts en Haïti de l'ouragan Matthieu a doublé
environ toutes les 12 heures depuis mardi [le 4 octobre]
matin et est maintenant estimé à 800
».
Les
«
comptes de
victimes devraient être examinés avec soin et avec
beaucoup de scepticisme », poursuit Chéry. «
D'une part, il ne
semble plus avoir une distinction entre les disparus et
les morts. Par exemple, les enfants d'un orphelinat
effondré sont présumés morts, mais aucune preuve de leur
décès n’a été offerte
».
« Il est dans l'intérêt des puissances occupantes de
faire pression
sur Haïti à exagérer les coûts humains et matériels de
l'ouragan », conclut Chery.
En effet, Washington va probablement utiliser
cette dernière crise haïtienne pour faire avancer son
propre agenda économique et politique et intimider et
saper le président Privert, qui a montré une certaine
témérité et de l'indépendance. Après leur expérience des
six dernières années, le peuple haïtien est justifié de
se méfier des cadeaux apportés par ceux dont les
politiques ont toujours miné sa démocratie et sa
souveraineté.
En bref, la réponse à la catastrophe de l'ouragan Matthew
devrait être dirigée par les Haïtiens, sans pourtant
négliger que l'aide désintéressée soit certainement
bienvenue.
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