Quand est-ce la justice sera-t-elle octroyée au Père Vincent ?
Par Thomas Peralte
28 Août 1994-28 Août
2014 : Assassinat du père Jean Marie Vincent, 20 ans déjà !
La nouvelle tomba comme
un couperet, le 28 Août 1994, quand on annonça l’assassinat
crapuleux du père Jean Marie Vincent, victime d’une
embuscade montée par des malfrats des ex-Forces Armées
d’Haïti, à l’entrée du presbytère de l’église Saint Louis
Roi de France, à la rue Baussan, à Port-au-Prince. Disciple
de la théologie de la libération, père Jean Marie Vincent
fut assassiné 3 ans après le coup d’Etat criminel contre
l’ex-président Jean Bertrand Aristide et un mois et demi
avant le retour de la démocratie, le 15 Octobre 1994. Père
Jean Marie Vincent a été tué sous le régime militaire de
Raoul Cédras et de Michel François qui a fait plus de 30
mille morts. Feu Jean Léopold Dominique disait : « Les
assassins sont dans la ville. » Nous disons aujourd’hui. «
Les assassins sont au Palais National ». Oui, ils sont au
Palais National, décrochant leur doctorat dans l’art de
comploter, fomentant toutes sortes de complot contre le
peuple haïtien et son
leader.
A l’occasion du vingtième anniversaire de
l’assassinat du père Jean-Marie Vincent, la Fondation
Jean–Marie Vincent nous rappelle la vie de ce vaillant
homme. Le 28 août 1994, sous le régime militaire du général
Cédras, vers 8 heures du soir, le Père Jean-Marie Vincent,
au volant de sa voiture, rentre chez lui à la résidence des
Pères Montfortains à Port-au-Prince. Des hommes armés et des
militaires l’attendent devant le portail du bâtiment et
l’abattent. Il a 49 ans. On se souvient de la consternation
et surtout de l'émotion qui avaient accueilli la nouvelle.
Des personnalités et institutions, tant nationales
qu’internationales, engagées aux côtés des plus pauvres,
s'étaient courbées devant sa dépouille pour dire leurs
souffrances et saluer la grandeur et la générosité de cet
prêtre qui avait dédié les 23 années de son sacerdoce au
service des personnes les plus vulnérables de la société
haïtienne, la petite paysannerie notamment. Il avait en
effet vécu parmi elle et avec elle.
La Fondation Jean-Marie Vincent commémore en
ce mois d’août 2014 le vingtième anniversaire de
l’assassinat du père Jean-Marie Vincent par plusieurs
manifestations à Port-au-Prince et en province. A FOKAL, du
28 Août au 13 septembre 2014, l’exposition, « Jean-Marie
Vincent, prêtre engagé, éducateur et entrepreneur social »,
retracera son parcours en images et en textes. Et le 30 août
à 4 h pm, La Fondation Jean-Marie Vincent propose à FOKAL
également une conférence sur son parcours dans les domaines
de l’éducation, de l’environnement, de l’économie et de la
politique.
Né le 21 octobre 1945,
Jean-Marie Vincent, est le cadet de trois enfants d’une
famille de Baradères. Il entre en 1957 au Petit Séminaire
Collège Saint Martial dirigé par les Pères Spiritains et
rejoint un an après l'équipe des petits séminaristes du
Collège. Il a entre autres comme professeurs les pères
Antoine Adrien et Ernst Verdieu, connus pour leurs combats
politiques contre la dictature de François Duvalier. En
1965, il part pour le Canada pour des études universitaires
en philosophie, et de retour en Haïti en 1966, poursuit ses
études de théologie.
Le 8 janvier 1971, il est ordonné prêtre et
peu de temps après, est nommé vicaire de la paroisse de
Bassin Bleu. Il suit cette même année à l’Institut
Œcuménique du Développement des Peuples en France, une
formation pour des adultes déjà engagés dans la
transformation des structures et des mentalités, dans une
optique de développement-libération. Cette formation a lieu
environ 3 ans après le mouvement des étudiants et des grèves
ouvrières de mai-juin 1968. Jean-Marie Vincent vit donc les
derniers soubresauts de cette contestation qui a changé
complètement le paysage politique, social et culturel de la
France, voire du monde. Cela se passe environ 3 ans après la
deuxième rencontre de la Conférence des évêques
latino-américains à Medellin en 1968, point de départ d’une
nouvelle expérience ecclésiale avec la naissance de la
Théologie de la libération - Option préférentielle pour les
pauvres - qui a été à l’origine de grands bouleversements au
sein de l’Église catholique en Amérique Latine, notamment.
Comme de nombreux hommes et femmes d’Église,
de laïques engagés, Jean Marie Vincent trouve dans ces
enseignements et dans la Théologie de la libération les
éléments permettant de matérialiser sa foi et de diriger sa
pastorale dans le concret de l’accompagnement des couches
pauvres de la population haïtienne, qui luttent pour la
construction d’une société de véritable justice dans le
pays. Cette Église catholique (surtout les TKL - Ti kominote
legliz), nouvelle et libératrice, lui aménage les espaces
dans lesquels vont s’épanouir conjointement sa foi
chrétienne et son engagement
politique…
Prêtre ou militant politique, Jean-Marie
Vincent a toujours ouvertement dénoncé la pauvreté,
l'injustice sociale, les assassinats, arrestations,
violences et actes de torture. Il n’a jamais caché ni son
engagement aux côtés des secteurs qui menaient la lutte pour
l’établissement en Haïti d’une société égalitaire, ni ses
relations avec des partis politiques démocratiques et leurs
dirigeants. Jusqu’à son assassinat, il s’affirmera toujours,
et de manière non-violente, aux côtés des communautés
pauvres, paysannes surtout, qu’il accompagnera dans tous les
combats que ces dernières ont menés pour le changement.
De 1971 à 1987, le Père Jean-Marie Vincent
accomplit seize années de ministère sacerdotal dans le
Nord-ouest, région très déshéritée d’Haïti. Toujours à
l’écoute des autres, toute sa vie, il est aussi un homme
d’équipe, privilégiant l’action collective à toute démarche
individuelle. Dans le Nord-ouest, il est connu pour son
engagement en faveur des paysans pauvres de cette région,
notamment à travers ses activités au sein de l'organisation
GTA (Gwoupman tèt ansanm) devenue plus tard Tèt kole de
Jean-Rabel, toujours bien implantée dans la région. A
l’époque, ces institutions apportent un soutien actif à
l'auto émancipation des petits paysans, notamment en
partenariat avec l'Équipe Missionnaire (EM), jusqu'au
massacre du 23 juillet 1987 dans lequel 139 paysans,
paysannes et jeunes ont péri.
L’Équipe Missionnaire de Jean-Rabel a pour
mission de tenter la matérialisation du concept
d’évangélisation et développement de l’Église catholique
défini en Haïti au début des années 70, concept qui devait
par la suite trouver sa formulation définitive dans celui de
l'Option préférentielle pour les pauvres de la Théologie de
libération qui a commencé à se développer en Amérique latine
vers la fin des années 60 et en Haïti au début des années
80. L’Équipe Missionnaire bénéficie du leadership et de
l’encadrement du père Jean-Marie Vincent, nommé vicaire en
1975 puis administrateur de la paroisse de Jean-Rabel de
1977 à 1983. C’est avec les GTA que l’Équipe Missionnaire
chemine jusqu’en 1986 et ensuite avec Tèt kole de Jean-Rabel
qui les remplacent après. Avec ces organisations, l’Équipe
missionnaire crée au sein des communautés paysannes de la
région des espaces de réflexion, de conscientisation, de
sensibilisation et d’échange d’informations.
C’est dans ces espaces que des séminaires et
des séances de formation sont organisés sur des thèmes les
plus divers : analyse de conjoncture, résolution de
conflits, questions des droits humains, de justice, etc. Les
participants sont également initiés à des techniques
agricoles plus productives, aux techniques de construction,
de dispensaires, de mises en place et de gestion de magasins
communautaires, de banques de médicaments, d’outils, etc.
Ces initiatives sont autant d’occasions de rencontres entre
des GTA/Tèt kole venus de régions différentes et de
concertations entre eux pour la réalisation d’activités
communes pour défendre leurs intérêts. Ainsi, de 1977 à
juillet 1987, au moment du massacre de Jean-Rabel, des
milliers de paysans et paysannes sont organisés en plus de
1000 de ces groupements qui, avec la coopération des Équipes
Missionnaires, élaborent et matérialisent différents
programmes et projets sur le terrain, dans différents
domaines d’intervention: pastorale, agriculture, éducation,
santé, organisation, infrastructures et aménagement de
routes… Bien après sa désignation comme directeur de la
CARITAS du Cap-Haïtien en 1983 et après le massacre de
Jean-Rabel en juillet 1987, Jean-Marie Vincent continuera
d’accompagner l’Équipe Missionnaire.
Les attentats
2 Août 1986 :
un attentat contre Jean-Marie Vincent par des grands
propriétaires de Jean-Rabel. Trois tueurs armés de machettes
investissent la maison de l’Équipe Missionnaire à sa
recherche. Ne le trouvant pas, ils brisent les vitres des
bureaux.
23 Juillet 1987 :
Massacre des paysans du Nord-ouest. Jean-Marie n’est pas en
Haïti. Cet événement secoue la vie nationale. Jean-Marie
Vincent précipite son retour à Port-au-Prince pour porter sa
solidarité active aux paysans de Jean-Rabel.
23 Août 1987 :
un mois après le massacre des paysans de Jean-Rabel, les
Pères Adrien, Aristide, Smarth et Jean-Marie Vincent
reviennent de Pont-Sondé dans l’Artibonite, où ils ont
participé à une célébration à la mémoire des victimes. Ils
échappent miraculeusement à un guet-apens à Freycineau,
localité située à environ trois kilomètres à l’entrée de
Saint-Marc. Jean-Marie Vincent a un bras cassé et de graves
blessures à la tête. Il en conservera les cicatrices jusqu’à
sa mort.
28 Août 1994 :
sous le régime militaire du Général Raoul Cédras, vers 8
heures du soir, Jean-Marie Vincent est assassiné devant la
maison des Pères Montfortains, au No 4 de la rue Baussan à
Port-au-Prince. Ses funérailles ont lieu le 2 septembre
1994, dans la cour de la Congrégation des Montfortains.
C’est au sein de la Fondation Jean-Marie
Vincent, créée en 1995, que se retrouvent ceux et celles qui
se disaient sentinelles de sa mémoire. Outre la perpétuation
de la mémoire du père Jean-Marie Vincent, la Fondation se
donne pour tâches d’assurer la continuité de ce qu’il a
commencé, de prendre seule ou avec la participation d’autres
institutions partenaires, de nouvelles initiatives en
fonction des nouveaux contextes, mais toujours au service du
combat que fut celui de Jean-Marie Vincent, aux côtés des
populations pauvres et marginalisées pour l’édification
d’une société égalitaire.
Chronologie
1971-1972 : Vicaire de
la paroisse de Bassin Bleu.
1972-1975 : Vicaire à
la Cathédrale de Port-de-Paix, responsable de la Chapelle de
Beauchamp. Accompagnement des jeunes, notamment au sein de
la Jeunesse ouvrière catholique (JOC) et de la Jeunesse
estudiantine catholique (JEC).
1975-1977 : Intégration
dans l’Équipe Missionnaire Montfortaine (Religieux : Pères,
Frères, Sœurs et Laïques) dans la paroisse de Jean-Rabel.
1977-1983 :
Administrateur de la paroisse de Jean-Rabel.
1977-1988 :
Coordonnateur de l'Équipe Missionnaire de Jean-Rabel.
1979 : Initiateur et
co-fondateur de « Gwoup devlopman 79 » dans le Nord-ouest
(Communes: Jean-Rabel, Môle St Nicolas, Bombardopolis et
Beauchamp, 7ème section communale de Port-de-Paix).
1979: Membre du
Conseil Provincial des Pères Montfortains, pendant 15 ans
jusqu'à sa mort le 28 août 1994.
1980 : Co-fondateur
des Groupements paysans : TET ANSANM, à Jean-Rabel.
1983-1991 : Directeur
de CARITAS du Nord au Cap-Haïtien, jusqu’en décembre 1991.
1986 : Co-initiateur
du mouvement paysan national, Tèt kole ti peyizan ayisyen.
1986: Co-fondateur de
l’ICKL (Institut Culturel Karl LEVEQUE).
1988: Co-fondateur et
membre du Conseil d’Administration du GATAP (Groupe d’appui
technique et d’animation pédagogique) qui fait suite à
l’Équipe Missionnaire.
1989: Initiateur
depuis 1989 et co-fondateur en 1991 du FIDES (Fonds
international du développement économique et social), qui
apporte un appui aux activités économiques des sections
communales à travers des organisations paysannes.
1991: Initiateur et co-fondateur en 1991, Directeur
jusqu’au 28 août 1994 du FONHADES (Fonds haïtien de
développement économique et social). |