Partira ou partira pas: Martelly, acculé à la sortie !
Par Jacques Kolo Pierre
Les chances pour une solution négociée à la crise haïtienne
résultant du refus du pouvoir en place d’organiser des
élections séquentielles pour le renouvellement du personnel
politique du pays s'amenuisent d'heure en heure en raison du
raidissement des positions des parties en présence. Depuis
son accession à la Magistrature suprême de l'Etat, Michel
Martelly a toujours pratiqué une politique absurde et
arrogante qui ne tient compte que des intérêts de la
Communauté internationale et de son clan composé de
« bandits légaux » comme ils s’appellent eux-mêmes.
Les derniers
évènements survenus le samedi 13 décembre 2014 au cours
desquels une personne a été tuée et au moins deux autres
blessées par des policiers lors d’une manifestation pour
réclamer le départ du régime en place, viennent jeter de
l'huile sur le feu et attisent davantage le conflit qui
assombri le ciel politique haïtien. Les nerfs sont à fleur
de peau au sein de la population, suite aux comportements
démesurés et indécents des militaires et policiers de la MINUSTHA qui ont réagi avec brutalité et sans commune mesure
pour réprimer un groupe de jeunes manifestants qui voulaient
franchir une barricade. Des images postées en fin
d'après-midi après la manifestation par le quotidien haïtien
Le Nouvelliste donnent une idée de la réaction des soldats
de la MINUSTHA qui ont fait usage non seulement de gaz
lacrymogènes, mais aussi de leurs armes à feu pour tirer en
direction de jeunes manifestants qui ripostaient à l'aide de
jets de pierre. Au moins deux policiers-soldats de la force
Onusienne ont utilisé leur Colt 45 contre des manifestants
qui tentaient de s'abriter. Un autre soldat de la MINUTHA a
pris position derrière son arme de guerre comme si la zone
du Champs de Mars était transformée soudainement en un champ
de bataille. L'un des policiers-soldats a même agressé
physiquement un journaliste-cameraman qui filmait la scène
en pointant son doigt au visage du journaliste en question.
Ces images ont été également postées sur les réseaux
sociaux. Les hommes de la MINUSTHA se sont comportés comme
des bourreaux en territoire conquis, en dépit des torts déjà
causés à la Nation haïtienne. Le choléra qui a déjà touché
plus de huit (8.000) mille citoyens haïtiens est l’œuvre des
agents de la MINUSTHA qui ont introduit cette maladie dans
le pays. Rein jusqu'ici n'a été fait par l'ONU pour
dédommager les parents des victimes, encore moins aussi pour
présenter des excuses à toute la population pour les
préjudices moraux qui lui ont été causés.
L'attitude des soldats
de la MINUSTHA démontre à quel point cette force présente
sur le terrain depuis plus d'une dizaine d'années, sans pour
autant parvenir à pacifier le pays, travaille d'arrache-pied
pour garantir les intérêts immédiats des pays du CORE Group
(France, Etats-Unis, Canada....) et de l'oligarchie
haïtienne dont Michel Martelly sert les intérêts
économiques. Le comportement de ces soldats de la force
d’occupation est plus que révoltant. Il mérite d’être puni
sévèrement. Malheureusement, malgré les forfaits qu’ils ont
commis en Haïti, ils ont toujours joui de l’impunité la plus
totale. Quelques rares parodies de procès auraient eu lieu
dans leur pays d’origine ; mais aucune instance indépendante
n’a pu vérifier la tenue desdits
procès.
Au-delà d'une
lutte politique menée par une opposition morale pour éviter
au pays de sombrer dans l'incertitude la plus totale, face à
un pouvoir corrompu et totalement désavoué par la
population, il s'agit d'un combat de longue haleine et de
grande envergure face à des flibustiers nationaux et
étrangers qui veulent faire main basse sur de maigres
ressources naturelles et minières dont dispose encore le
pays. En tête de liste figure l'ex-président américain qui
défendait corps et âme son poulain Laurent Lamothe en
déclarant que la démission du Premier Ministre haïtien
serait une erreur grossière. «C’est le gouvernement le plus
consistant et décisif avec qui j’ai jamais travaillé sur un
large éventail de dossiers », a martelé l'ex-président
américain qui auparavant s'était confessé devant une
Commission du Sénat américain sur les torts irréparables
qu'il a causés à Haiti dans le domaine de la production
rizicole. C'est ce même président américain qui, parlant au
journal Miami Herald en marge d'un sommet sur le futur des
Amériques la semaine dernière en Floride, a vanté les
mérites de Laurent Lamothe, lequel, selon lui, aurait attiré
le plus d'investissements en Haiti.
Pour les Haïtiens qui vivent de près la réalité au quotidien
et qui font face à une situation économique chaotique ces
trois dernières années, il s'agit d'une déclaration
immorale et provocatrice de la part d'un ancien président de
l'une des superpuissances mondiales qui feint d'ignorer la
vraie réalité au profit de ses intérêts propres et de son
clan. Et finalement quel sera le bénéfice d'une telle
démission de Monsieur Lamothe qui s'est accroché à la
Primature depuis le courant de 2012, en dépit de ses maigres
performances au Sénat de la République en deux
fois?
Pourtant, le Premier Ministre qui a rendu le tablier
officiellement dans une adresse le samedi 13 décembre, se
décerne un net satisfecit de ses réalisations pendant son
passage à la Primature. «Je quitte le poste de Premier
Ministre avec le sentiment du devoir accompli», s'est
exclamé Mr. Lamothe avec beaucoup de nostalgie dans sa voix
et de déception sur son visage. «Le pouvoir corrompt». Et de
fait, il s'est révélé à la fois un corrompu et un
corrupteur, selon des sources parlementaires proches de
l'opposition. D'ailleurs, des parlementaires proches du
Palais National et/ou de la Primature ont apporté leur appui
à M. Lamothe bien avant sa démission qui a été reçue par le
président de la République. D'ailleurs, lors de la cérémonie
officielle au Palais National pour recevoir le rapport de la
Commission Consultative formée par arrêté présidentiel en
date du 28 novembre 2014, M. Martelly avait évoqué l'idée de
la démission de son premier Ministre dans le cadre des
conclusions de ladite
Commission.
Cependant, le sénateur du plateau central, Francisco de Lacruz, élu sous la bannière de l’Organisation du Peuple en
Lutte (OPL), a révélé que Laurent Lamothe avait déjà remis
sa démission depuis le mois d’Octobre. Selon le
parlementaire, M. Lamothe avait même pris un arrêté publié
dans le journal officiel de la République, Le Moniteur, dans
lequel il avait désigné le secrétaire général de la
primature au poste de premier ministre par intérim pour le
remplacer. Tout cela s’est passé sans que le pays en fut
informé. Cette révélation du sénateur de Lacruz a de quoi
jeter de l’huile sur le feu dans un pays où le régime « Tèt
Kale » (Crâne rasé) devient de plus en plus impopulaire et
fait face à une contestation populaire grandissante. Cette
information va probablement soulever la colère des
manifestants anti-gouvernementaux qui ont toujours accusé le
régime en place de violer la Constitution.
Véritable
marché de dupe! Justement, le rapport de la Commission
Consultative présidée par le Dr. Reginald Boulos avait
réclamé notamment la démission du premier Ministre et de
l'ensemble de son gouvernement, du président du Conseil
Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ), Me Arnel Alexis
Joseph, de la totalité des membres du Conseil Electoral et
la libération des prisonniers politiques. Il est clair que
les onze membres formant cette Commission présidentielle ont
conforté le président dans ses démarches pour reprendre du
poil de la bête après avoir été malmené par l'opposition
démocratique. Mr. Martelly en sort gagnant après avoir violé
à maintes reprises la Constitution de 1987 pour n’avoir pas
organisé les élections séquentielles pour renouveler les
deux tiers du Sénat, la totalité de la Chambre des Députes,
les Municipalités et les
locales.
En clair, M. Martelly tenant compte des conclusions du
travail de la Commission Consultative, va bénéficier de son
propre fouillis après avoir démantelé les institutions
républicaines et démocratiques. Il aura la possibilité de
choisir un autre Premier Ministre pour former un
gouvernement garantissant les intérêts de l'oligarchie,
d'organiser des élections-sélections conformes aux vœux
d’une certaine communauté internationale en 2015. Il
continuera ainsi à dilapider les caisses publiques. Selon
le député de Gros-Morne (Artibonite) Fritz Chéry, partisan
zélé du régime en place, "Le rapport consacre la caducité du
Parlement et signifierait au président qu’il n’est plus
nécessaire qu’il se rende devant l’Assemblée Nationale pour
l’exposé général de la situation du pays". Le député de
Léogane, Danton Leger, va plus loin et ceci avec beaucoup de
sagacité en déclarant que "les Parlementaires ne partiront
pas en 2015 sans Michel Martelly". Sur les ondes de Radio
Caraïbes, lors de l'émission "Ranmase" le samedi 13
décembre, le député Danton Leger s'est dit prêt à "faire le
sacrifice pour sauver le pays à condition que le président
de la République en fasse
autant."
Evans Paul, conseillé de
l’organisation Konvansyon Inite Demokratik » (Convention de
l’Unité Démocratique) un adepte fidèle de Martelly et qui a
participé aux pourparlers d'El Rancho, est encore aux anges
pour avoir été appelé par le Chef de l'Etat pour adjoindre
la Commission Consultative. Jouant le rôle de rapporteur au
sein de la Commission Consultative, Evans Paul croit que le
président haïtien s'est révélé "grand" en acceptant de faire
des sacrifices dans le cadre des conclusions du rapport de
ladite Commission. M. Paul qui était l'invité du jour sur
Radio Vision 2000 le lundi 15 décembre en a profité pour
envoyer beaucoup de fleurs au Président sans pour autant
faire allusion aux masses rurales et des bidonvilles qui
croupissent dans la crasse et la misère abjecte ; celles et
ceux-là qui manifestent quasi-quotidiennement leur
ras-le-bol dans les rues de la capitale et des villes de
province…
La série de manifestations enclenchées par l'opposition
démocratique pour réclamer le départ du président Martelly
continue de faire recette, en dépit des concessions de
taille que celui-ci a décidées de faire pour tenter de
sauver son régime vraiment en perte de vitesse. Même la
dernière tentative de l'Ambassadeur américain en Haïti,
Pamela White pour essayer d'adoucir l'opposition
démocratique à travers une rencontre au local de la Fusion
des Socio-démocrates, a échoué pour avoir trop longtemps
épousé aveuglement le régime de Martelly éclaboussé par de
nombreux scandales de blanchiment d'argent, de trafic
illicite de la drogue, d'arrestations arbitraires
d'opposants politiques, de violations flagrantes des droits
humains et autres. Dans la foulée, le Conseiller au
Département d'Etat, l'Ambassadeur Thomas A. Shannon, a
effectué du 10 au 12 décembre dernier une visite en Haïti
sur demande, dit-on, du Secrétaire d'Etat Américain John
Kerry. Il a pu rencontrer le Président et le Premier
Ministre haïtiens, des leaders politiques de tous bords et
des membres de la Communauté internationale. Rien n’a filtré
de cette rencontre, sinon un communiqué laconique de
l'Ambassade américaine en Haïti en ces termes: "Le
Conseiller Shannon a été impressionné par le progrès réalisé
depuis sa dernière visite, et a été particulièrement heureux
de constater des avancées dans un dialogue politique dirigé
par des
Haïtiens".
Entre temps la crise persiste en dépit des manœuvres
diplomatiques pour y trouver une solution acceptable. Les
deux parties - l'Exécutif et l'Opposition- campent sur leurs
positions. Entretemps, des manifestations de rue se
multiplient à l'approche des fêtes de fin d'année et du
Nouvel An sur fond de crise économique aigue. L'éclairci
politique n'est pas pour demain. Et le pays risque de
sombrer dans le chaos inévitable à mesure que la date
fatidique du 12 janvier 2015 s'approche. A ce moment-là, le
Parlement sera totalement dysfonctionnel, le Gouvernement
déjà démissionnaire restera-t-il indéfiniment en place pour
liquider les affaires courantes de la République? Et qui des
deux assurera cette gestion temporaire, Laurent Lamothe ou
celui qu’il a désigné illégalement?
Jacques Kolo Pierre
|