Les câbles diplomatiques de WikiLeak révèlent:
Rudy Hériveaux est en «contact étroit» avec l'ambassade américaine en Haïti
(1ère partie)
par Kim Ives
Couramment Ministre de la Communication
d'Haïti, Rudy Hériveaux a suscité une rage populaire en
Novembre dernier quand, dans un éditorial, il a qualifié de
«cafards» les milliers de manifestants défilant désormais
presque tous les jours pour réclamer la démission du
président Michel Martelly.
Mais pendant presqu’une
décennie, Hériveaux a été une source régulière et fiable
pour l'ambassade américaine en Haïti, selon les câbles
diplomatiques secrets de plusieurs ambassadeurs américains
et chargés d'affaires qu’a obtenus l'organisation de presse
Wikileaks et qui ont été fournis à Haïti Liberté.
Les câbles brossent le
tableau d'un individu sans scrupule qui fait pleinement
promotion de sa personne – un «opportuniste», selon un câble
– qui a tenté de détourner la direction du parti Fanmi
Lavalas de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide,
tandis que celui-ci était en exil en Afrique du Sud de 2004
à 2011. Bien que Hériveaux fût « en étroit contact avec
l’ambassade », selon les termes-mêmes d'un câble, les
responsables américains ont ajouté foi à l'évaluation du
sénateur Simon Dieuseul Desras à savoir que «le parcours
du sénateur Hériveaux montre qu'il n’est pas un véritable
Lavalasien et n'a jamais été reconnu comme tel ».
Même quand Hériveaux
pourrait être bientôt sans emploi, suite à la démission le
13 décembre du Premier ministre Laurent Lamothe, il promet
néanmoins continuer à être un acteur sur la scène politique
en Haïti puisque, comme le montrent les câbles, son modus operandi semble être de s’accrocher à n’importe quel
politicien perçu par lui comme une figure ayant le vent en
poupe.
L’ascension de Rudy
Hériveaux
Il a été élu une
première fois en 2000 à titre de député de Trou du Nord à la
47ème législature d'Haïti sous la bannière de
Fanmi Lavalas (FL). Par la suite, il a été élu sénateur
Lavalas pour le département de l'Ouest en 2006, bien que la
faction du parti Fanmi Lavalas qu'il représentait – et qui
avait éclaté à ce moment – était en profond conflit avec les
courants les plus militants, en particulier ceux dirigés par
le regretté Père Gérard Jean-Juste et le leader de
l'organisation populaire René Civil
Durant le coup d'Etat
de 2004-2006, Hériveaux était aussi techniquement un membre
de la «Commission de communications» de FL," une sorte de
direction qui comprenait l'ancien président par intérim de
FL, Jonas Petit, l’ancien ministre de l'Intérieur Bell
Angelot, l’ancien porte-parole du gouvernement Aristide,
Mario Dupuy, l’ancienne conseillère d’Aristide Dr Maryse
Narcisse, et l’ancien député Gilvert Angervil ; bien que,
selon une note de l'ambassadeur américain James Foley paru
dans un câble datant du 22 mars 2005, Hériveaux et l’ancien
sénateur Yvon Feuillé « ont effectivement été mis à l'écart
par les autres ».
La raison de cet
ostracisme tient du fait que Feuillé et Hériveaux faisaient
partie d'une «faction modérée» qui s’était détachée de
Lavalas, selon ce qu’a expliqué Foley.
«
Ceux
de la faction modérée, plus divers et moins enclins à se
faire entendre, insistent qu'ils veulent participer aux
élections, qu'ils représentent l'esprit originel du
mouvement Lavalas, et que FL s’est trouvée discréditée par
Aristide et sa mauvaise gouvernance » ; c’est ce que Foley a
écrit après les avoir rencontrés.
Sept mois plus tard, le
13 octobre 2005, le conseiller politique de l'ambassade
américaine (Polcouns) a tenu une réunion avec les «modérés»
Hériveaux, Feuillé, l’ancien sénateur Lavalas Louis Gérald
Gilles, l’ancien député Lavalas Sorel François, et l'ancien
député Lavalas Jonas Coffy , selon un câble du 21 octobre
2005 par l'ambassadeur américain, Timothy Carney.
Le groupe a déclaré
« qu'ils sont convaincus d'une victoire de Marc Bazin aux
prochaines élections [présidentielles] », a écrit Carney. Marc Bazin était un
ancien fonctionnaire de la Banque mondiale qui a été
brièvement le ministre des Finances du dictateur Jean-Claude
de Duvalier, alors candidat néolibéral de Washington et
principal challenger d’Aristide aux élections du 16 décembre
1990, ensuite brièvement Premier ministre du gouvernement
du coup d'Etat qui a envoyé le président Aristide en exil de
1991 à 1994, pour finalement devenir le candidat
présidentiel de la faction «modérée de Lavalas » en 2006.
« La clé de la victoire
Bazin, selon Hériveaux, ce sera son succès dans le Nord et à
Port-au-Prince », a rapporté Carney. « Néanmoins, Gilles a dit
qu'un deuxième tour opposant Bazin et Siméus leur convient,
et qu’un président Bazin assorti d’un Premier ministre
Siméus serait une bonne chose pour Haïti ». (Dumas Siméus
était un millionnaire conservateur, homme d’affaires
haïtiano-américain vivant au Texas, qui en 2005 était le
candidat à la présidence favori de Washington, surtout parce
qu'il était citoyen américain. Ce statut-là a entraîné sa
disqualification de la course électorale de 2006 parce que
la Constitution haïtienne de 1987 ne permettait pas à des
citoyens détenteurs d’une double nationalité de briguer une
haute fonction gouvernementale.)
Néanmoins, Hériveaux s’inquiéta de ce que le Conseil
électoral provisoire (CEP) pût truquer le vote en faveur du
parti social-démocrate Fusion, et « Hériveaux a imploré Polcouns d'être vigilant par rapport au CEP
», a écrit Carney.
Étonnamment, Hériveaux et les Lavalas «modérés» suppliaient
l'ambassade américaine de surveiller les élections
haïtiennes, pourtant du ressort souverain des Haïtiens. Ce
petit épisode, révélateur, augurait beaucoup de l'avenir de
Rudy Hériveaux.
(A suivre)
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