Le président Martelly semble déterminé à
reconstituer les Forces Armées d’Haïti. Après plusieurs
tentatives infructueuses, Michel Martelly parvient à constituer,
dans le plus grand secret, une unité militaire composée de
quarante et un (41) jeunes haïtiens. En effet, après une courte
période de 10 mois de formation à l’École Supérieure Militaire
Eloy Alfaro (Quito, Equateur), les 41 nouveaux «
officiers-ingénieurs et soldats-techniciens haïtiens » sont de
retour au pays. Selon le président Martelly qui les a reçus le 4
Septembre dernier lors d’une cérémonie officielle au Palais
National, ils seront déployés à la Petite-Rivière, dans le
Département de l’Artibonite.
Dans son discours de circonstances, Michel Martelly a clairement
laissé comprendre que sa démarche participait de la résurrection
des ex-Forces Armées d’Haïti. Sauf que, jusqu’ici le groupe de
départ du nouveau corps ne contient que de nouvelles têtes, des
jeunes frais émoulus. « En vous accueillant aujourd'hui comme officiers-ingénieurs et soldats-techniciens, il me vient le
sentiment exaltant de ressusciter le Corps du génie militaire
haïtien, de poser la première pierre d'un panthéon où la
jeunesse haïtienne viendra périodiquement se ressourcer et
puiser des leçons de discipline et de dévouement, le culte du
civisme et du sacrifice au service de la patrie immortelle », a
dit M. Martelly.
Cependant, la présentation au public de ce groupe de «
militaires » formé en Equateur a surpris tout le monde et ceci
pour plusieurs raisons. D’abord, aucun autre secteur vital du
pays n’a été informé ou mis au courant de la reconstitution ou
de la remobilisation de l’armée. Personne ne sait non plus quand
et comment les membres de la petite armée du régime ont été
recrutés. Le pays n’est même pas au courant des critères de
sélection pour intégrer cette force appelée à opérer dans le
pays. Il y a bien des zones d’ombre autour de la constitution et
du déploiement de cette armée d’un genre nouveau dont la mission
n’est pas clairement définie. D’ailleurs, même dans le
Département de l’Artibonite où les 41 hommes vont être
cantonnés, personne n’en a été informé. Le sénateur du
Département, François Anick Joseph déclare avoir appris la
nouvelle par voie de presse. Autrement dit, tout a été conçu,
planifié et mis en œuvre dans le plus grand secret.
La
façon dont cette Armée a été constituée, s’il faut l’appeler
ainsi, va certainement causer plus de discorde et renforcer la
méfiance entre le pouvoir exécutif et les haïtiens qui,
vraisemblablement, ne croient plus en leurs « élus ». Le projet
de reconstituer l’Armée a toujours été un sujet de controverse
en Haïti. Evidemment, certains secteurs saluent la décision du
chef de l’Etat, mais de nombreux autres s’y opposent
farouchement. En Haïti aussi bien que dans les communautés
haïtiennes d’outre-mer, la question fait des vagues. Les pros
s’appuient sur le fait que l’Armée a été à la base de la
création de l’Etat d’Haïti, tandis que les opposants
s’interrogent sur les vraies motivations du président Martelly
qui réintroduit la question de l’Armée au moment où il se trouve
englué dans une crise multidimensionnelle et des scandales en
cascades ayant éclaboussé son régime. S’agit-il d’une diversion
en plus ? De toute façon la question est trop sérieuse pour en
faire un sujet de plaisanterie.
S’il existe des zones d’ombre autour de la reconstitution de
l’Armée de Martelly, il faut par contre mettre en lumière une
vérité. Revenons sur les faits. Le 10 Septembre 2012, le
Président Michel Martelly, reçoit, au Palais National, 8 jeunes
sélectionnés par le Ministère de la Défense, afin de suivre une
formation militaire de quatre ans à l’École Supérieure Militaire
Eloy Alfaro (Quito, Equateur), dans le cadre de la coopération
entre les deux pays. Il s’agit de : Ernst St-Louis, Evenson
Ilant, Sadrac Ladouceur, Mario Carl Erby Florestal, Jean Elie
Pierre Paul, Werby B. Jean, Nioventz Vixamarre et Judney B.
Jean. La cérémonie de présentation de ces jeunes à la presse,
s’était déroulée en présence, entre autres, de l’Ambassadeur de
l’Équateur en Haïti, M. Carlos Lopez, du Ministre de la Défense,
M. Jean Rodolphe Joazile, accompagné de son Directeur Général,
M. Carel Alexandre, du Sénateur John Joël Joseph, de Me Michel
Brunache alors Secrétaire général de la Primature, et du
Directeur général de la Police Nationale d’Haïti, Mr. Godson
Aurélus. En clair, la formation de ces militaires–ingénieurs
devait durer quatre (4) ans, non pas dix (10) mois. A moins
qu’ils aient déjà eu une formation d’ingénieur avant leur
recrutement.
Ces 8 jeunes ont été sélectionnés suivant un processus
rigoureux, dont les détails n’ont pas été révélés à la presse,
mené conjointement par le Ministère haïtien de la Défense et des
cadres de l’Ecole Militaire équatorienne, venus en Haïti
spécialement à cet effet, souligne le ministre de la Défense,
Rodolph Joazile. C’était l’année dernière. Ensuite, dix (10)
ingénieurs civils, dit-on, ont été sélectionnés pour une
formation dans la construction verticale, le génie rural, les
routes et ponts, et les techniques de purification d'eau. Trente
autres techniciens en génie civil auraient reçu la même
formation. En fait, ce sont quarante-huit (48) jeunes haïtiens
qui auraient reçu cette formation. Seulement 41 sont de retour ;
donc, il en manque sept (7). Où sont-ils passés ? Qu’est-ce qui
leur est arrivé ? N’ont-ils pas réussi le test de passage avant
leur graduation ? Notons qu’au départ, il y avait déjà 10
ingénieurs civils et à leur retour on parle de onze (11). Ceux
qui étaient des ingénieurs ont été en Equateur juste pour
recevoir une formation militaire.
En
plus de l’opacité qui entoure le processus de recrutement des
membres de l’Armée reconstituée à l’insu des haïtiens, il se
pose le problème du budget de fonctionnement de cette force. Pas
un sou n’a été prévu pour le fonctionnement d’une quelconque
Armée dans le budget de l’exercice 2013/2014. Alors, comment les
militaires vont-ils être rémunérés ? Vont-ils travailler comme
de simples volontaires nationaux ? Seront-ils payés à partir du
budget de la présidence ? En 2011, le président Martelly, dans
un document acheminé aux représentants de la communauté
internationale en poste à Port-au-Prince, avait clairement fait
part de ses intentions d’allouer un budget de 95 millions de
dollars américains à la création d’une nouvelle force de défense
avec un groupe initial de 3.500 hommes, un service
d’intelligence et un état-major intérimaire déjà en formation.
Pourtant, l’Armée est reconstituée sans budget. Or, en principe,
pendant toute la durée de leur formation, les militaires
auraient dû recevoir des frais, car ils sont appelés à servir
l’Etat.
Une autre anomalie c’est que, cette Armée construite dans le
silence et le secret est passée brusquement de 3.500 hommes
initialement à 41. Qu’est ce qui explique cette réduction ?
S’agit-il d’une stratégie visant à faire avaler plus facilement
le projet de reconstitution de l’Armée. Etant donné que la
question divise l’opinion publique, le régime peut opter pour
une formule douce et lente pour faire accepter son Armée que
plus d’un perçoit déjà comme une « milice présidentielle ».
En
plus de l’absence de budget, il n’y a toujours pas un État-major
pour coiffer la « nouvelle force armée ». Il n’y a pas non plus
de commandant à la tête de l’institution militaire. Pourtant,
dans tous les pays du monde, l’armée est une institution bien
organisée, structurée et hiérarchisée. C’est la première fois
dans l’histoire militaire qu’une armée soit composée d’officiers
et de soldats sans aucuns sous-officiers. C’est une armée
spéciale investie d’une mission spéciale qu’elle doit accomplir
au sein d’une société toute aussi spéciale. Où est l’État-major
qui était déjà en formation depuis en 2011 ? Sa formation
prend-elle plus de temps que celle des militaires-ingénieurs ?
Il
est évident que la reconstitution en secret de l’armée divise
les haïtiens. Aujourd’hui le débat n’est pas nécessairement de
savoir si on est pour ou contre l’Armée. Le pays a peut- être
besoin d’une armée, mais pas une armée au service d’un homme ou
un groupe d’hommes, d’un secteur national ou international. Il
faut une Armée au service de la nation. Et compte tenu du
contexte actuel, la reconstitution de l’Armée constitue-t-elle
vraiment une priorité ? Une armée sans budget de fonctionnement,
sans Etat-major, sans commandement, c’est tout simplement une
armée dérisoire comparée à celle de la République Dominicaine
qui compte en ses rangs pas moins de quatre-vingt mille hommes.
C’est exceptionnel !
L’Armée est dissoute depuis 1995. A ce moment, la majorité des
haïtiens étaient soulagés que cette Armée qui constituait une
force d’occupation indigène ne soit plus là pour conduire la
répression contre les masses. En plus des multiples coups d’Etat
sanglants dont elle était responsable, cette Armée s’était
taillée une réputation dans les violations systématiques des
droits humains et des atteintes à la démocratie. Cependant, elle
continue d’exister constitutionnellement. La démobilisation de
l’Armée a été faite dans le désordre où les anciens militaires
ont été lâchés dans la nature en possession de leurs armes. Il
est aujourd’hui inconcevable de vouloir la remobiliser ou d’en
construire une autre force dans le désordre et de manière
unilatérale.
L’Armée est une institution nationale. Elle doit refléter les
aspirations du peuple haïtien. Sa philosophie doit être
certainement en conformité avec les réalités socioculturelles et
anthropologiques du pays. Sa constitution ne peut être confiée
aux caprices d’un individu sans un consensus national. Avoir
l’adhésion de la majorité des Haïtiens autour de la
reconstitution de l’Armée s’avère indispensable. Déjà, l’Armée
de Martelly accuse un déficit grave de crédibilité. De même que
la police nationale, la formation initiale des premiers éléments
de cette force a été assurée quasi essentiellement à l’étranger
et par des étrangers. Pourtant, l’Armée est la gardienne de la
souveraineté nationale. Contraste !
Autre sujet de préoccupation aujourd'hui : la cohabitation de
cette nouvelle force avec la police nationale et la MINUSTAH.
Il faut aussi tenir compte des anciens militaires dont certains
ont encore en leur possession leurs armes de combat. Selon un
communiqué de la présidence, ces jeunes sont le fruit de la
promesse électorale du président de la République de remobiliser
les Forces armées d'Haïti sous forme d'une force de défense
nationale. « Celle-ci sera principalement affectée à la
surveillance de nos frontières, à la lutte contre la contrebande
et les trafics illicites, à la vigilance environnementale, à la
protection civile, etc. » En fait, la promesse de Martelly
relative à la remobilisation de l’Armée lui avait attiré la
sympathie des anciens militaires. Pourtant, aucun d’entre eux
n’a été appelé à faire partie de la nouvelle force. Est-ce un
acte de trahison en plus du président ?
La
reconstitution en cachette de l’Armée par le régime en place
soulève des inquiétudes au niveau de différents secteurs dont
les défenseurs des droits humains. Le directeur exécutif du
Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), Pierre
Espérance s’indigne de la décision unilatérale du chef de l’Etat
de reconstituer l’Armée sans en informer les autres pouvoirs
publics et les forces vives du pays. Selon M. Espérance, il ne
s’agit pas d’une Armée, mais d’un corps paramilitaire au service
de Michel Martelly. Il estime que la population devrait se
révolter contre la décision du chef de l’Etat pour éviter que le
pays ne bascule à nouveau dans la dictature.
Au-delà de toutes ces considérations, il faut admettre que le
pouvoir en place a peur. Après plus deux ans de gestion du pays
marqués par des scandales de corruption en tout genre, les
tenants du régime ne se sentent guère en sécurité. Les menaces
de mise en accusation qui pèsent sur les plus hautes autorités
du pays font certainement peur. C’est peut-être pour conjurer
cette peur générale que le pouvoir tente de se doter de sa
propre force répressive. C’est aussi la raison pour laquelle
Martelly veut faire peur à ses opposants qui, ces derniers temps
se sont montrés déterminés à le chasser du pouvoir, s’il ne
change pas de direction dans la conduite des affaires de l’Etat.
Martelly sort donc ses muscles et veut intimider l’opposition.
En plus de plusieurs dossiers en suspens, le régime a déjà fait
emprisonner au moins deux opposants, les frères Josué et Enold
Florestal. Pour s’assurer une certaine survie politique, le
régime qui est accusé d’avoir violé systématiquement la
Constitution doit disposer d’une force répressive capable de
placer ses opposants en couple réglée.
Francklyn
B. Geffrard
Centre International d’Etudes et de Réflexions (CIER)
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