Ce rapport de vingt-neuf pages déposé au bureau du Sénat de la
République aux fins de sanction par l'Assemblée des sénateurs le
jeudi 8 aout 2013, a proposé à la Chambre basse de mettre en
accusation le chef de l'Etat, Michel Martelly pour "crime de
haute trahison", tout en indexant également le Premier Ministre
Laurent Lamothe et le Ministre de la justice Jean Renel Sanon
pour qu'ils soient mis en accusation et renvoyés de leur
fonction. La Commission a recommandé que la Chambre des Députés
prenne toutes les dispositions que de droit aux fins de
constater "le caractère parjure de ces autorités du pouvoir
exécutif qui ont tous nié leur participation à la réunion du 11
juillet 2013, alors que l’enquête confirme leur participation
effective à ladite rencontre".
La Commission a conclu que la réunion a bel et bien eu lieu au
cours de laquelle le juge d'Instruction Jean Serge Joseph a été
"torturé jusqu'à ce que mort s'en suivit". C'est pourquoi, la
Commission a également recommandé à la Chambre basse de
constater également "l’immixtion du chef de l’État, du premier
Ministre et du Ministre de la justice dans l’exercice souverain
du pouvoir judiciaire aux fins d’obtenir que des décisions de
justice soient prises en leur faveur". En ce sens, a écrit la
Commission, « le Chef de l'Etat a trahi en jurant de faire
respecter la Constitution et les lois de la République. »
Et le chef de l'Etat, Michel Martelly et le Premier Ministre,
Laurent Lamothe ont juré publiquement n'avoir jamais rencontré
ni de loin ni de près le juge Jean Serge Joseph. Autant dire que
la réunion du 11 juillet 2013 n'est que dans l'imaginaire des
gens. C'est comme un conte de fée. Pourtant, la Commission a
rencontré une demi-douzaine d'avocats et de juges, en passant
par Me Jean Wilner Morin, Me Samuel Madistin, Me Bernard St Vil,
Me Berge O. Surpris, Me Manès Joseph pour aboutir à Mme Ketly
Julien qui travaille pour l'Institut Mobile d'Education
Démocratique (IMED). Tous ont répété le même refrain à savoir
que le juge Jean Serge Joseph leur a confié avoir rencontré le
président Martelly, le chef du gouvernement Laurent Lamothe et
le Ministre de la justice, Jean Renel Sanon autour du dossier de
justice de la famille présidentielle, au cours d'une réunion le
11 juillet au Cabinet de Me. Garry Lissade. A ce niveau, il
incombe au Chef de l'Etat de donner la preuve par quatre qu'il
n'était pas présent à une réunion du genre à la date indiquée.
On est dans le domaine de la politique où le respect d'une
fonction d'Etat s'impose. N'importe quelle haute autorité du
pays, si elle se respecte sans salir la fonction présidentielle
doit donner la preuve de son emploi du temps ce jour-là.
La première étape qui consiste à présenter le rapport à
l'Assemblée des sénateurs a avorté en raison du fait que des
sénateurs ligués au pouvoir en place entre autres, Wensesclas
Lambert et Edo Zenny (Sud-Est) ont tout fait pour bloquer la
séance, en raison du quorum fragile qui existe au sein de ce
corps. Un quorum de seize sénateurs sur vingt est donc requis.
Les élections sénatoriales partielles pour renouveler un tiers
du Sénat depuis deux ans n'ont jusqu'ici pas eu lieu. Donc, avec
ce quorum fragile, les sénateurs pro-gouvernementaux peuvent
facilement bloquer, à leur guise, toute séance au Sénat dont
l’agenda est contraire à leurs desiderata.
Cela ne veut pas dire non plus que le document issu de la
Commission Spéciale d'Enquête du Sénat est un tract comme le
prétextent des proches du pouvoir. Il reste et demeure un
document officiel et légal, dans la mesure où les membres de
cette Commission sont des sénateurs en fonction et choisis par
l'Assemblée des sénateurs, lors d'une séance régulière. Il est
avéré que le pouvoir en place peut tout faire pour que ce
rapport ne soit pas discuté en Assemblée, par contre, le rapport
reste et demeure un acte valable. On comprend pourquoi,
l'ex-sénateur Joseph Lambert et également conseiller politique
du président de la République a été dépêché au Sénat de la
République pour demander des négociations. Il faut croire qu'il
y a panique dans le camp des grecs!
De toute façon, il faut croire que dans l'état actuel des choses
à la Chambre des députés où le pouvoir dispose d'une majorité
relative, rien de sérieux n'est envisagé en termes de suivi du
rapport de la Commission Spéciale d'Enquête du Sénat. Une fois
adopté par l'Assemblée des Sénateurs, le rapport en question
doit être acheminé à la Chambre basse pour la mise en accusation
du Président de la République et le Sénat de s'ériger en haute
Cour de Justice pour la destitution du Chef de l'Etat.
Justement, l'Exécutif en place a le secret sur la façon de faire
danser sa majorité.
Et déjà, le bal a déjà eu lieu lors d'une séance au Parlement le
6 Aout dernier où des députés du bloc majoritaire pro-Martelly,
PSP (Parlementaire pour Stabilité et le Progrès) et ceux du bloc
minoritaire de l'opposition PRI (Parlementaire pour le
Renforcement Institutionnel) en sont venus aux mains sur le
dossier de l'ordre du jour de la séance. Les membres du PRI
voulaient insérer dans l'ordre du jour la loi électorale de 2008
modifiée très récemment par l'Assemblée des Sénateurs sur la
durée de leur mandat en accord avec la Constitution de 1987. Les
députés du PSP n'ont pas voulu, puisqu'ils se rangent du côté du
gouvernement pour la réalisation des sénatoriales partielles
pour le renouvellement de deux tiers du Sénat au lieu d'un
tiers, écourtant ainsi le mandat de l'autre tiers du Sénat
siégeant actuellement. D'ailleurs, une réunion a eu lieu sur ce
dossier entre le pouvoir en place et les membres du PSP.
Dans les coulisses, les députés majoritaires du bloc PSP ont
juré que le rapport de la Commission Spéciale d'Enquête ne
passera pas. En adoptant une attitude pareille, même avant de
prendre connaissance du document, les membres du PSP ont fait
preuve de légèreté extrême qui s'assimile à une forme
d'allégeance aveugle à Michel Martelly qui, très certainement, a
dû grassement délier les cordons de la bourse. D'ailleurs,
plusieurs collègues du PRI ont dénoncé, à maintes reprises, la
corruption du pouvoir en place qui n'a jamais lésiné sur les
moyens pour satisfaire les parlementaires du PSP. Un autre bloc
à la Chambre basse, le PEP, transfuge du PSP, se dit prêt à
voter pour la mise en accusation du chef de l'Etat si les faits
qui lui sont reprochés se sont effectivement révélés vrais.
Les Sénateurs-Commissaires, François Anick Joseph, président,
Westner Polycarpe, rapporteur, Joël Joseph John, Steven L.
Benoit et Pierre Franky Exius, membres ont fait un travail
appréciable dans un temps record. Ils ont rencontré, d'un côté,
des officiels de l'Exécutif et, de l'autre, des membres du corps
médical de l'Hôpital Bernard Mews, des juges, amis, médecin
personnel et famille du juge décédé Jean Serge Joseph. Il s'agit
d'un travail de cueillette d'informations pour savoir si la
rencontre entre le juge Serge Joseph et des officiels haïtiens,
a eu lieu au Cabinet de Me Garry Lissade, environ quarante-huit
heures ayant précédé la mort du juge. Il revient maintenant à la
justice de mener sa propre enquête sur la mort suspecte du juge
en charge du dossier de l’enquête sur l’épouse et le fils du
président de la République, tous deux accusés de "corruption, de
concussion, de détournement de biens publics et d’usurpation de
fonction".
Il ne revient pas à la Commission de mener un travail
d'investigation. C'est à la justice de faire ce travail de
manière à déterminer les auteurs et co-auteurs dans la saga
judiciaire et politique. Il s'agit d'un complot monté de toutes
pièces pour éliminer le juge dans l'exercice de ses fonctions.
Car, le Doyen du tribunal civil de Port-au-Prince, Me Raymond
Jean-Michel est l'homme par qui le scandale est arrivé. Il était
chargé d'emmener le défunt au Cabinet de Me Garry Lissade pour
cette séance d'interrogations suivie de tortures morales et
physiques infligées au juge par des officiels présents. Me
Raymond Jean Michel intimait l'ordre à son collègue de monter
seul dans sa voiture, une Nissan Patrol de couleur blanche vitre
teintée qui était déjà en marche aux abords du Parquet, selon
Berlens Joseph, homme de confiance du défunt qui parlait aux
commissionnaires. Et l'on comprend pourquoi la Commission,
dans sa conclusion, a demandé que soit traduit par devant le
Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) le Doyen du
tribunal de première instance, Me Raymond Jean Michel, comme le
"premier suspect dans cette affaire" avant d’être limogé et
livré à la justice haïtienne aux fins de droit.
Il est à noter également que la Commission recommande que
l'action publique soit mise en mouvement contre Me. Garry
Lissade "pour recel". Car, selon les informations dignes de foi,
Me Lissage à hébergé à son bureau la réunion du 11 juillet entre
des officiels haïtiens et le juge Jean Serge Joseph. Il faut
croire que Me. Lissade n'est pas à son premier coup d'essai. Ce
même espace avait déjà été utilisé dans le passé pour une autre
réunion au cours de laquelle des pressions allaient être
exercées sur le Commissaire du gouvernement de Port-au-Prince,
Me Constant Lionel Bourgouin pour qu’il procède à l'arrestation
du président du Conseil Electoral Provisoire d'alors, Gaillot
Dorsainvil sous l'égide duquel l'élection présidentielle ayant
porté M. Martelly au pouvoir a eu lieu. Cette rencontre à
laquelle ont pris part, le Premier Ministre d'alors, Gary
Conille, les Ministres de la justice et des Affaires Etrangères
de l'époque, respectivement Michel Pierre Brunache et Laurent
Lamothe, a été confirmée par ces deux dernières autorités.
Quel sort sera-t-il réservé
à ce rapport? Il n'y pas de doute que les hommes du pouvoir - en
guise de parlementaires- au Sénat et à la Chambre des députés
feront tout pour saboter le travail de la Commission et lui
infliger un camouflet. Mais, le plus important, le rapport de la
Commission reste un document valide et de toute importance qui,
dès sa publication, vient de saper les fondements moraux de ce
qui reste du pouvoir de Martelly. A part les scandales à
répétition qui éclaboussent au jour le jour le régime en place,
la mort suspecte du juge Jean Serge Joseph vient d'infliger un
sérieux coup au pouvoir du 14 mai qui est passé maître dans
l'art de mentir à tout le monde. Le président de la République,
garant de la bonne marche des institutions de ce pays, n'est
jamais au courant de ce qui se passe au sein de son pouvoir. Il
n'a jamais rencontré le juge-défunt de son vivant. Pourtant, il
a déclaré publiquement sur les ondes de radio Signal FM et de
radio Métropole que c'est lui qui a fait nommer le juge Jean
Serge Joseph, laquelle information n'a aucun fondement
véridique, puisque le juge a été nommé par l'Administration de
l'ex-président René Préval
La rue peut parler au cas où les conclusions du rapport ne
peuvent pas se matérialiser. C'est la seule alternative qui
reste, selon l'ex-député Serge Jean-Louis qui parlait au nom du
Mouvement Patriotique de l’Opposition Démocratique (MOPOD), le
samedi 10 Aout, à l'émission "Ranmase" de Radio Caraïbes. Le
débat démocratique se transposera dans la rue puisque, d'après
lui, les institutions républicaines ont failli. Il faut croire
que l'automne politique sera bouleversant avec particulièrement
les échéances électorales de la fin de cette année. Les
tergiversations de l'Ambassadrice américaine ne sont pas pour
calmer le jeu. Au contraire, elle ajoute de l'huile sur le feu
de la contestation si elle continue de soutenir irréversiblement
un pouvoir très branlant. C'est dans cet ordre d'idées que le
député Levaillant Louis-Jeune a fait état de l'envoi d'une
correspondance la semaine prochaine au président américain
Barack Obama pour lui rappeler que sans "l'épopée haïtienne de
1804, il ne serait pas élu premier président noir de l'histoire
des Etats-Unis". En clair, l'ex-président de la Chambre des
députés, à travers cette missive qui sera signée par plusieurs
parlementaires haïtiens, a demandé à M. Obama une rectification
dans la politique suicidaire menée par l'Administration
américaine en Haïti.
Le dénouement dans l'affaire du Watergate (1) doit nous inspirer
à bien des égards, notamment aux hommes politiques haïtiens de
tout acabit. Une fois le processus de mise en accusation du
président enclenché au Sénat américain, le président Richard
Nixon a tout simplement démissionné, mettant fin ainsi à un
scandale qui ruinait l'Exécutif américain à son plus haut
niveau. Il faut le reconnaitre quand on a péché par excès. Il
faut également savoir payer le prix quand on a commis des
erreurs grossières qui peuvent porter préjudice grave à la
République. Un fait est certain, les hautes autorités haïtiennes
impliquées dans cette affaire peuvent se soustraire
momentanément du verdict parlementaire. Par contre, elles ne
pourront pas se soustraire du verdict de la justice. Pour
l'instant, elles sont au timon des affaires et, par conséquent,
intouchables. Quand le pouvoir ne sera plus de leur côté, à ce
moment-là, la famille du juge-défunt pourra porter plainte. A ce
moment, la société saura ce qui s'était passé réellement le 11
juillet 2013. Tous ceux qui sont en train de mentir pour le Chef
de l'Etat et pour leur compte personnel n'échapperont point au
verdict de la justice et de l'histoire.
Note
(1) Le scandale du Watergate n’est autre qu'une affaire
d'espionnage politique qui aboutit, en 1974, à la démission du
président des USA Richard Nixon. Les investigations par des
journalistes et une longue enquête du Sénat américain finiront
par lever le voile sur des pratiques illégales de grande ampleur
au sein même de l'Administration présidentielle.
Jose Clément Maryland, 12 aout 2013 Centre International d'Etudes et de Réflexions (CIER) |