Le 7 Février dernier ramenait le 28e anniversaire
de la chute de la dictature des Duvalier. En proie à une révolte
populaire et lâché par les américains, Jean Claude (Bébé doc)
Duvalier et ses proches ont dû fuir le pays au petit jour.
Pendant près de trois décennies, François Duvalier (de 1957 à
1971), puis son fils Jean-Claude (de 1971 à 1986), ont dirigé le
pays d’une main de fer. Pour faciliter le départ du pays de Jean
Claude Duvalier et ses proches, un avion de l’US Air Force avait
été mis à leur disposition par l’administration du président
Ronald Reagan.
Au cours des longues années qu’Haïti était dirigée par les
Duvalier, le pays avait fait face à de graves crises
économiques, politiques et sociales. Des arrestations
arbitraires et des assassinats perpétrés par millier par les
tontons macoutes semaient la peur au sein de la population
réduite à sa plus simple expression. Aucune opposition n’était
tolérée. Tout opposant au régime était condamné soit à la prison
dans les différents centres de torture du régime, soit à la
disparition pure et simple ou à l’exil pour les plus chanceux.
C’est ce qui a expliqué d’ailleurs que, c’est notamment à
l’étranger que des Haïtiens exilés vont tenter de créer un
mouvement d’opposition au régime qui bénéficiait de l’appui sans
faille de la France et des États-Unis.
A
l’annonce de la chute du régime totalitaire le 7 Février 1986
dont le chef s’était envolé pour la France où il avait trouvé
refuge temporairement, des manifestations de joie et de violence
ont eu lieu dans toutes les villes du pays et dans les
communautés haïtiennes de l’étranger. C’était un jour de fête et
de grandes célébrations des libertés retrouvées pour la majorité
des haïtiens. Par contre, ce jour avait donné également lieu à
des scènes de lynchage des partisans zélés du régime et de
pillage de leurs biens. Autant dire que ce 7 Février était,
malheureusement, un jour noir pour de nombreux macoutes qui
avaient fait les frais de la colère populaire.
La chute du dictateur Jean Claude Duvalier et l’effondrement de
son régime ont fait rêver les Haïtiens. Les exilés politiques
sont revenus massivement au pays exprimant le désir de
participer à son développement. C’est la population entière qui
se mettait à rêver d’un nouveau pays. Tous les espoirs étaient
permis. Au-delà de la chute de la dynastie des Duvalier qui fut
une victoire du peuple haïtien sur la tyrannie, ce fut aussi le
renforcement de la lutte anti-impérialiste. Elle marqua, dans
une certaine mesure, la montée en flèche de la théologie de la
libération qui a pris naissance en Amérique latine. Mais ce
courant de pensée qui ouvrait la voie à une implication de plus
en plus profonde de la base de l’Eglise dans la politique
active, fit peur aux puissances occidentales qui craignaient
qu’Haïti ne devient un deuxième Cuba au cœur des Amériques. Et
c’est cette peur du communisme qui a aussi expliqué le soutien
des Etats-Unis au régime des Duvalier.
La date du 7 Février est pleine de symbolisme pour le peuple
haïtien. Cependant, depuis un certain temps, ce jour semble
avoir perdu de tout son sens et de son essence. Cette date a
tout simplement été banalisée. On dirait qu’on chercherait, à
dessein, de l’effacer de la mémoire collective. Et tout semble
avoir été mis en place à cet effet. C’est au plus haut de l’Etat
que cela se passe. Par exemple, la date du 7 février a été
consacrée depuis 1987 comme le jour de prestation de serment du
président et de transmission du pouvoir exécutif. Pourtant, la
dernière fois que cela a été fait remonte à 2001, entre les
présidents René Préval et Jean Bertrand Aristide. Quasiment,
chaque année, la date du 7 Février se passe sans susciter de
grands intérêts chez les politiciens (au pouvoir et dans
l’opposition). En général, cette journée est marquée par des
manifestations de rue à l’initiative d’organisations populaires
et par des séances de réflexions réalisées par des organisations
de défense des droits humains.
Cette année, seule quelques centaines de personnes ont pris part
à une manifestation de rue pour marquer le vingt-huitième
anniversaire de la chute de la dictature. La manifestation a été
dispersée par la police à coup de gaz lacrymogène. Des
organisations de défense des droits de l’homme ont tenu des
séances de réflexions autour de cette journée sur laquelle les
autorités en place sont restées muettes. Le président de la
République qui a toujours exprimé son admiration pour les
Duvalier et qui fut milicien lui-même à l’âge de 15 ans se
trouvait à l’étranger. Le premier ministre Laurent Lamothe, lui,
était en campagne dans le département du Nord-ouest, précisément
sur l’Ile de La Tortue. La population qui, vingt-huit ans plus
tôt, s’était révoltée contre le régime des tontons macoutes est
devenue amnésique. Et on assiste tristement à ce que plus d’uns
considèrent comme une espèce de révisionnisme et à une fâcheuse
tendance à banaliser les méfaits du régime. Toutefois, une
initiative louable de l’Association nationale des Médias
haïtiens (ANMH) a permis au pays de revivre une tranche de son
histoire récente avec la diffusion d’un film documentaire du
cinéaste haïtien, Arnold Antonin. Ce film qui constitue un
travail de mémoire est utile pour les jeunes générations qui
n’ont pas connu Duvalier et auxquelles on veut faire croire que
tout était rose dans la République. Bravo!
Le duvaliérisme en voie
de réhabilitation ?
Le premier des tontons macoutes, Jean Claude Duvalier est de
retour au pays depuis plus de trois ans. IL est vrai qu’il fait
l’objet d’une procédure judiciaire sous les accusations de
crimes de sang et de crimes économiques, mais il continue de
bénéficier du soutien du pouvoir en place pour échapper, disent
les organisations de défense des droits humains et les
associations de victime de sa dictature, à la justice. Au nom de
l’État de droit prôné par le régime en place dont l’action se
situe dans la lignée du duvaliérisme, Jean Claude Duvalier jouit
d’une totale impunité en Haïti. En plus, comme pour provoquer
les parents des victimes de son régime, le pouvoir en place
l’invite à plusieurs reprises à des cérémonies officielles. Le
premier Janvier dernier, il accompagnait le président de la
République aux Gonaïves à l’occasion de la célébration
officielle du 210e anniversaire de l’indépendance nationale.
Quand le président Martelly choisit d’amener Jean Claude
Duvalier aux Gonaïves, ce n’est pas un hasard. C’est un choix
calculé. Le ballon d’essai a déjà été lancé en 2012 avec une
promotion sortante de l’Ecole de Droit des Gonaïves qui l’avait
choisi comme parrain. Gonaïves a été l’un des fers de lance de
la lutte anti-Duvalier. Et cette ville qui avait aussi payé un
lourd tribu dans cette révolte populaire qui a emporté la
dictature. C’est la mort de trois jeunes écoliers dans cette
ville, Jean Robert Cius, Mackenson Michel, Daniel Israël le 28
Novembre 1985 qui allait embraser l’ensemble du pays jusqu’à la
chute du régime le 7 Février 1986. Le passage de Jean Claude
Duvalier aux Gonaïves n’avait pas suscité de grandes réactions à
l’époque. Seuls quelques avant-gardistes et victimes de sa
dictature ont dénoncé ses déplacements et l’impunité dont il
jouit. Cette situation illustre bien une réalité, celle d’une
tentative de réhabilitation du duvaliérisme. Aujourd’hui, il est
difficile de rétablir la dictature des Duvalier, certes, mais le
pouvoir en place est le point de repère des duvaliéristes.
Evidemment, certains d’entre eux ont servi tous les
gouvernements post-Duvalier, de gauche ou de droite. De même,
des hommes qui se réclament de la gauche se mettent au service
du régime en place. Cela obéit à une logique « droite et gauche.
»
Flou idéologique
Quoique peu organisée, l’opposition aux Duvalier (père et fils)
avait au moins quelque chose qui lui servait d’élément
identitaire. D’ailleurs, par prétexte et pour justifier la
répression contre ses opposants, tous ceux qui ne partageaient
pas le point de vue du régime étaient taxés de communistes. Ils
étaient tous assimilés à la gauche, une gauche plus ou moins
plurielle dans la mesure où il existait plusieurs courants de
pensée. Point n’est besoin de signaler que le pouvoir des
Duvalier était de droite, de l’extrême droite, selon certains
commentateurs politiques. Autrement dit, il y avait au moins
deux courants idéologiques qui s’affrontaient.
De nos jours, on est perdu. On a du mal à identifier qui est de
gauche et qui est de droite. Des partis de « gauche » s’allient
à la droite pour combattre la « gauche ». Et chaque fois que la
droite au pouvoir actuellement se trouve en difficulté, ce sont
des partis dits de gauche qui volent à son secours. La « gauche
haïtienne » refuse de s’assumer comme telle. Elle semble vouloir
paraître politiquement correcte pour se faire accepter par on ne
sait qui ou quoi. Avec la mobilisation populaire de la fin des
années 80 et du début des années 90, la gauche haïtienne,
quoique toujours mal ou presque pas organisée, avait fait des
avancées politiques significatives notamment en raison de son
engagement anti-impérialiste. Evidemment, les temps ont changé
et le monde a beaucoup évolué. La gauche haïtienne a peut-être
besoin de s’ajuster aux réalités des temps modernes sans se
souiller ni se pervertir.
Si la gauche haïtienne veut se refaire une vraie santé politique
afin de mieux jouer son rôle, elle doit se montrer plus
cohérente et plus digne idéologiquement. Personne ne comprendra
comment ceux qui ont défendu les idées de la gauche peuvent se
retrouver aujourd’hui méconnaissables dans des alliances contre
nature qui, de l’avis de certains commentateurs politiques,
constituent leur arrêt de mort. Le pays est donc passé d’un
extrême à un autre. Nombre d’Haïtiens, militants, intellectuels,
hommes et femmes politiques, sont passés majoritairement d’un
projet anti-impérialiste debout à l’acceptation à genoux de cet
impérialisme qu’ils ont combattu. Cette attitude de certains de
nos politiciens et les déceptions accumulées par la majorité des
Haïtiens sont probablement entre autres des éléments ayant servi
à démobiliser les masses populaires qui continuent de rêver d’un
changement dans leurs conditions de vie. De nos jours, on a du
mal à distinguer la gauche de la droite. Toutes deux parlent
quasiment le même langage. Pourtant, chacune devrait être
porteuse d’un projet politique différent avec des perspectives
différentes aussi. D’où la nécessité de lever le flou
idéologique qui pèse sur la gauche haïtienne- Cette gauche qui,
depuis quelque temps n’a même pas pris le temps d’accompagner la
population dans ses revendications sociales. C’est pourquoi,
peut-être, on ne sait plus ce qui reste du mouvement populaire
en Haïti-mouvement populaire dont le démantèlement a commencé
avec le coup d’Etat militaire de 1991. |