Le dossier du double assassinat,
le 3 avril 2000, du journaliste Jean Dominique et de son gardien
Jean-Claude Louissaint refait surface dans l'actualité avec le
rapport d’enquête du juge d'Instruction en charge de l'affaire
Yvikel Dabrezil dont a fait état le vendredi 17 janvier 2014
Joseph Guyler C. Delva, qui fut Secrétaire d'Etat au
gouvernement Martelly-Lamothe et actuel Conseiller au Palais
National.
Radio Haïti Inter a été au cœur du débat
politique et idéologique post 1986. Avec une équipe dévouée et
rompue à la bataille, elle s'est taillée une place de choix dans
le paysage radiophonique haïtien en dénonçant des pratiques
malsaines et malodorantes dans notre milieu. Jean Dominique a
fait un choix de lutter contre les forces du statu quo. C'est
pourquoi, il a été en maintes occasions la cible rageuse des
"anti-changements " qui voient en lui un homme à abattre pour
ses convictions.
Selon les propos de Guy Delva qui déclare citer
des extraits de l'ordonnance du Juge Dabrezil qui n'a même pas
encore été rendue publique, une ancienne sénatrice de la
République, Mirlande Lubérus, serait l'auteure intellectuelle de
ce double assassinat perpétré sur la cour de la station dont
Jean Dominique était propriétaire. Toujours selon Guy Delva qui
a fait le tour des medias de la capitale vendredi dernier pour
"vendre" l'ordonnance, l'ex-président Jean-Bertrand Aristide
serait un témoin clé dans cette affaire, bien qu'il n'ait pas
été inculpé comme ce serait le cas pour Mirlande Libérus.
Il n'y a pas eu de vrais rebondissements dans le
public, suite à l'information de Guy Delva, ancien secrétaire
d’Etat à la Communication du régime en place. Il ne s'agit pas
d'un scoop non plus. Puisque, l'ancien correspondant de radio
Métropole dans le Sud du pays a tellement habitué la population
à ce genre de situations qui puisent leurs racines dans la
propagande gouvernementale ciblant son adversaire au sein même
de Fanmi Lavalas dont Aristide est le leader spirituel. Guy
Delva était le premier à rendre publique la
décision du juge Dabrezil de convoquer l'ex-président Aristide
au Cabinet d'Instruction le 8 Mai 2013 dans le cadre de cette même affaire.
Il est important de noter que l'instruction est
secrète dans le cadre d'un dossier pareil qui, pratiquement
quatorze années après, est toujours dans l'impasse. Il est vrai
que certains juristes sont d’avis contraire sur le confidentiel
du dossier à ce niveau, d’autres pensent, au contraire, que les
inculpés devraient être notifiés d’abord avant que l’affaire
soit rendue publique. Comment Guy Delva a pu-t-il avoir accès à
l'ordonnance d'un juge sur un dossier aussi sensible qui n'est
même pas encore sorti? Guy Delva qui est également responsable
de SOS journaliste est probablement dans le secret des dieux ou
du moins, à titre de Conseiller du Palais National, il est
chargé de faire le relais pour la "bonne cause". Car ce dossier
est avant tout politique. Chaque gouvernement cherche à tirer
son épingle dans la mort du grand journaliste émérite qu'est
Jean Do de son surnom.
Pas moins de dix juges et des Commissaires de
gouvernement ont épluché le dossier de Jean Dominique en tout ou
en partie. Plusieurs personnalités ont été déjà auditionnées,
dont l'ancien président René Préval, un ex-sénateur de la
République, Dany Toussaint et un ancien Premier Ministre, Yvon
Neptune, le leader de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL),
Sauveur Pierre Etienne. Au moins deux témoins clés ont trouvé la
mort dans des circonstances très troublantes. L'un au cours
d'une opération chirurgicale mineure à l'Hôpital de l'Université
d'Etat d'Haïti et l'autre dans un Centre carcéral à Petit-Goâve.
Des documents importants sont disparus ou enfouis dans des
décombres du Palais de Justice de Port-au-Prince qui logeait le
Cabinet d'Instruction, lors du tremblement de terre du 12
janvier 2010.
Au total, dix (10) personnes ont été déjà
inculpées. Parmi elles, deux étaient considérées comme des
hommes de main et une autre à titre de complice, a informé
Michèle Montas, la femme du journaliste-defunt qui dit croire
qu'il s'agissait d'une exécution manifeste de son mari de la
part des hommes puissants de ce pays. Elle a fait ces
déclarations lors d'une interview à Radio Caraïbes, postée
également en ligne le lundi 20 janvier 2014.
Ce qui parait bizarre, la dernière ordonnance du
juge Dabrézil sur le cas Jean Dominique dont a fait état Guy
Delva a inculpé des citoyens dont les noms ne figurent nulle
part dans les autres ordonnances en rapport à ce crime. Autant
dire que, chaque gouvernement a son juge d'Instruction. Et
chaque ordonnance a ciblé ses propres témoins à charge ou
inculpés. Singulier petit pays où la justice est à multiples
vitesses!
Pourquoi c'est Guy Delva qui a été chargé de
rendre publics des extraits du rapport du juge Ivikel Dabresil
sur le dossier de Jean Dominique et de Jean-Claude Louissaint?
Guy Delva qui était à la tête d'une Commission créée par le
président René Préval pour faire la lumière sur les cas
d'assassinat de journalistes, et qui est depuis belle lurette
dysfonctionnelle. M. Delva ne peut prétendre aujourd'hui parler
au nom de cette Commission caduque pour avoir accès, dit-il, au
dossier de l'instruction secrète. Si tel était le cas, M. Delva
occuperait au moins deux fonctions officielles, dont l'une est
incompatible avec l'autre. Sur cet aspect précis, le sénateur
John Joël Joseph a estimé qu'«il y a
clairement manipulation et manœuvres politiciennes pour tenter
d'affaiblir un secteur politique fort à l'approche des joutes
électorales».
Pour le parlementaire cité
par l'Agence haïtienne de Presse le 17 janvier 2014, il y a un
lien très étroit entre la sortie de telles informations et la
levée de boucliers contre Jean-Claude Duvalier au lendemain du
3ème anniversaire de son retour d'exil.
Tout d'abord, le dossier de Jean Dominique,
figure emblématique de la presse haïtienne, est politique pour
la simple bonne raison que le pouvoir en place cherche à
réhabiliter le régime honni des Duvalier à travers la
réinsertion de Jean-Claude Duvalier qui vit au pays depuis trois
années après son retour d'exil en France le 16 janvier 2011. La
présence récente de M. Jean Claude Duvalier à la cérémonie de
commémoration de l'anniversaire des victimes du tremblement de
terre du 12 janvier 2010 à l'invitation du président de la
République Michel Martelly, n'a pas reçu un écho favorable
auprès de la population. Il en est de même de sa participation
aux cérémonies officielles marquant le 210e
anniversaire de l'Indépendance haïtienne, le 1er janvier 2014.
Sa dernière sortie publique aux côtés du président Martelly aux
Gonaïves, bastion de la contestation contre le régime
dictatorial des Duvalier à partir de 1985, a été très critiquée
notamment par des victimes de la répression, des organismes de
droits humains et d'autres organisations de la société civile.
Justement, le
Collectif contre l’impunité, une association regroupant des
plaignants et des organisations de droits humains, dit déplorer
ce qu’il appelle la banalisation de la dictature et les
tentatives de réhabilitation de l’ancien dictateur Jean-Claude
Duvalier. La Coordonnatrice du collectif, Danielle Magloire, une
victime des Duvalier, a déclaré que "des démarches sont
actuellement en cours à la Commission Interaméricaine des Droits
de l'Homme (CIDH) en vue de réactiver le dossier Duvalier. Ces
démarches, a-t-elle rappelé, visent entre autres à obtenir
qu’une session soit organisée à la CIDH d’ici au mois de Mars
sur le dossier Duvalier».
Le pouvoir en place d'inspiration macouto-duvaliériste,
face à cet imbroglio politique, tente de faire fuite en avant
avec le dossier de Jean Dominique pour donner une autre
occupation à la population. Les élections à venir représentent
une épine au pied du gouvernement Martelly-Lamothe. Le pouvoir
en place qui n'est pas sûr de gagner le prochain scrutin tente
de faire diversion ou du moins cherche à bloquer, dit-on, la
machine lavalas qui représente la principale force politique du
pays et qui, selon toute vraisemblance, serait capable de gagner
n'importe quelle élection organisée dans la transparence. Lors
du scrutin à venir, si le régime en place perdait sa majorité
construite à coup d'argent et de promesses à la Chambre des
députés et n'arrivait pas à remonter son décalage au niveau du
Sénat, ce serait la débâcle et sonnerait le glas pour le
président Michel Martelly qui a une épée de Damoclès sur sa tête
avec la résolution du Sénat demandant à la Chambre des députés
de "mettre en accusation" entre autres le locataire du Palais
National et celui de la Primature dans leur "responsabilité dans
la mort suspecte" du Juge d'Instruction Jean Serge Joseph. Un
rapport d'une Commission d'Enquête Spéciale du Sénat en date du
8 aout 2013 avait conclu que Martelly et Lamothe avaient menti à
la nation au sujet de la mort controversée du juge d'Instruction
Jean Serge Joseph qui enquêtait sur un dossier de corruption
présumée de la famille présidentielle.
Il y a du pain sur la planche pour le président
Martelly qui fait face surtout à des pressions constantes pour
l'organisation d'élections sénatoriales partielles, municipales,
locales et pour le renouvellement également de la totalité de la
Chambre des députés ; et surtout face à une opposition
démocratique qui réclame constamment son départ pour "n'avoir
pas su délivrer la marchandise" promise lors de sa campagne
électorale et par rapport au "totalitarisme du pouvoir". Donc,
il est important pour le pouvoir Martelly de chercher à
brouiller les pistes et de travailler à faire l'équilibre entre
Jean-Claude Duvalier (symbole de la dictature) et Jean-Bertrand
Aristide (leader des masses) dans la perspective de la survie de
son régime. Il est à craindre que le pouvoir de Port-au-Prince
en complicité avec un certain secteur de la Communauté
internationale cherche à mettre Fanmi Lavalas hors d'état de
nuire avant l'organisation des joutes à venir qui représentent
une étape cruciale pour le pays et pour l'avenir du régime
Martelly-Lamothe.
Les 9 inculpés sont Mirlande Lubérus, Harold
Severe, Annette Auguste (Sò An), Franco Camille, Merité Milien,
Dimsley Milien, Toussaint Mercidieu, Jeudi Jean Daniel et
Markington Michel.
Jacques Kolo Pierre
|