Un
procès longtemps attendu contre l'ONU, pour l’introduction du
choléra en Haïti, sera lancé cette semaine
La corde
judiciaire commence à se resserrer autour du cou de
l’Organisation des Nations Unies pour qu’elle assume la
responsabilité d’avoir déclenché à dessein la pire épidémie de
choléra dans le monde, au pays le plus pauvre de l'hémisphère
occidental, où des centaines de milliers de personnes ont été
touchées par cette maladie mortelle.
Le 9 octobre,
des avocats représentant plus de 5.000 victimes haïtiennes du
choléra et leurs familles vont déposer une poursuite en recours
collectif dans le district sud de New York pour réclamer que
l'ONU reconnaisse sa responsabilité dans l'introduction du
choléra en Haïti il y a de cela trois ans et en paie le prix.
Les avocats de l'Institut pour la Justice et la Démocratie en
Haïti (IJDH), basé à Boston, et le Bureau des Avocats
Internationaux (BAI), basé à Port-au-Prince, avaient déjà déposé
une première requête en justice contre l'ONU en Novembre 2011
dans le cadre juridique de l'organisme mondial pour réparation.
Cette plainte en justice de 37 pages a accusé l’«ONU d’être
responsable de négligence, négligence grave, imprudence, et
indifférence délibérée à l’endroit de la santé et de la
vie du peuple haïtien entraînant des préjudices physiques aux
pétitionnaires et des décès dus au choléra en Haïti,» et a
demandé des compensations financières pour 5000 pétitionnaires
haïtiens, des mesures constructives pour prévenir la propagation
de cette maladie, une reconnaissance formelle de la
responsabilité de l'ONU pour l’avoir introduit en Haïti, ainsi
que des excuses officielles.
Il a fallu à
l'ONU plus de 15 mois pour répondre, le 21 février 2013, sous la
forme d'une lettre de deux pages faisant valoir que « ces
demandes ne sont pas recevables en vertu de l'article 29 de la
Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies
», qui régissent les 9.000 soldats de l'ONU déployés en Haïti
depuis Juin 2004 dans le cadre de la Mission des Nations Unies
pour stabiliser Haïti (MINUSTAH), mandatée par le Conseil de
sécurité.
« Ils
peuvent avoir l'immunité, mais ils n'ont pas d'impunité », a
répondu un avocat de l’IJDH, Ira Kurzban.
Le 8 mai, les
avocats de l'IJDH ont tenu une autre conférence de presse pour
dire que, après avoir épuisé tous les recours juridiques
internes de l'ONU, ils intenteraient bientôt un procès devant
les tribunaux américains. Cette promesse doit être tenue à 10
heures du matin, le 9 octobre, lorsque les avocats auront
présenté leur dossier à un juge siégeant à la Daniel Patrick
Moynihan Courthouse, situé au 500 Pearl Street à New York.
Plus de sept
équipes de recherche médicale, dont l’une commanditée par l'ONU
elle-même, ont enquêté sur l'épidémie de choléra et ont conclu
qu'elle a été déclenchée lorsque les soldats népalais de l'ONU,
infectés par le choléra et stationnés dans la ville de
Mirebalais dans le Plateau central d'Haïti, ont laissé leurs
eaux usées infiltrer, en amont et se meler à l’eau de la rivière
Artibonite, la plus grande rivière d’Haïti. Le choléra, une
bactérie d'origine hydrique, est principalement transmis lorsque
des excréments humains infectent l'eau potable.
Le choléra a tué plus de 8.300 personnes au
cours des trois dernières années et rendu malades près de
650.000.
L'action
en justice intervient à un moment où les hauts fonctionnaires de
l'ONU exhortent le Secrétaire général à « dire la vérité
». Le 8 octobre, Navi Pillay, du Haut Commissariat des Nations
Unies aux Droits de l'homme, a déclaré que « les victimes du
choléra en Haïti devraient obtenir une compensation ; mais elle
n'a pas dit par qui », selon Associated Press. «C’est la
première fois qu’un responsable de l'ONU a parlé publiquement et
fait des remarques à propos de la nécessité d'assurer une
indemnisation des victimes du choléra en Haïti ».
Les remarques
de Mme. Pillay ont été faites à Genève, en Suisse, le 8 octobre,
lors de la cérémonie de remise du Prix Martin Ennals pour les
Défenseurs des droits humains. L'avocat principal du BAI, Mario
Joseph, était l'un des trois finalistes pour le prix.
Le 7 août,
Jean-Marie Guéhenno, ancien chef des opérations de maintien de
la paix de l'ONU de 2000 à 2008, a tweeté: « Les
Gardiens de la paix ont beaucoup fait pour Haïti ; mais l'ONU
doit dire la vérité à propos de la crise du choléra. La Faculté
de Droit de l’Université Yale a présenté un très ferme rapport
là-dessus».
Il faisait
allusion à un rapport de 58 pages intitulé « Maintien de la
paix sans responsabilité: La responsabilité de l'Organisation
des Nations Unies pour l'épidémie haïtienne de choléra »,
qui conclut que: « 1) L'épidémie de choléra en Haïti est
directement attribuable aux soldats de la MINUSTAH et aux
infrastructures inadéquates pour déchets à leur base de Meye. 2)
Le refus de l'ONU de créer une commission d'indemnisation pour
les victimes de l'épidémie viole son obligation contractuelle
d'Haïti en vertu du droit international. 3) En introduisant le
choléra en Haïti et en refusant toute forme de recours aux
victimes de l'épidémie, l'ONU n'a pas respecté ses obligations
en vertu des lois internationales traitant des droits humains.
4) L'introduction de l'ONU de choléra en Haïti et le refus d'en
accepter la responsabilité ont violé les principes de l'aide
humanitaire internationale ».
En mai 2012,
même l'envoyé spécial de l'ONU pour Haïti, Bill Clinton passé
maître dans l’hypocrisie, avait admis qu'un soldat népalais de
l'ONU avait apporté le choléra à Haïti, en déposant « son
flux de déchets dans les cours d'eau d'Haïti et dans le corps
des Haïtiens ».
Pour la
poursuite qui doit être déposée le 9 octobre, « cinq
plaignants aux noms connus ont porté plainte, mais nous déposons
un recours collectif, ce qui signifie qu'ils agiront en tant que
représentants de tous les autres dans la même situation ;
c'est-à-dire tous les autres qui ont soit contracté le choléra
eux-mêmes ou ont eu un membre de leur famille décédé de la
maladie », a expliqué Kermshlise Picard, coordonnatrice des
communications de l'IJDH.
Il serait très
important que le juge accepte le dossier à titre de recours
collectif, a dit un autre avocat de l'IJDH, Brian Concannon,
parce que « n’importe lequel des près de 700.000 victimes
pourrait choisir de faire parti du procès ».
En mai, les
avocats de l'IJDH avaient dit qu'ils pourraient demander
$100.000 pour la famille de chaque victime morte du choléra et
$50.000 dollars pour chacune des victimes qui ont survécu à
l'épreuve. Mais dans le dépôt de cette semaine, « nous ne
faisons aucune demande spécifique à ce stade », a déclaré
Concannon.
« C'est une occasion historique pour les
tribunaux américains de faire en sorte que les Nations Unies
s’en tiennent strictement aux obligations auxquelles les lient
leurs traités, en refusant de permettre à l'ONU de se cacher
derrière l'immunité alors qu’elle refuse de fournir aucune
alternative à ses victimes », a conclu Concannon. |