Par Isabelle L. Papillon
Depuis
quelques temps, certaines déclarations publiques feraient croire
que la corruption gangrène la famille présidentielle. Des noms
comme celui de la femme du président, Sophie Martelly, son fils
Olivier Martelly, son père Saint-Rémy. Chacun de son côté, sans
aucune fonction réelle au sein de l’administration de Martelly,
utilise à son gré, des fonds de l’Etat dans des projets bidon,
tels : Aba grangou, Ti manman cheri, vente d’engrais à prix fort
dans la Vallée de l’Artibonite, construction d’infrastructures
sportives et autres. Des millions de gourdes voire même des
milliards ont été mis à la disposition des membres de la famille
présidentielle, alors qu’ils ne sont pas comptables des deniers
publics.
Saisi et
documenté de ces cas précis de corruption et de dilapidations
flagrantes des fonds de l’Etat, maître Newton Saint-Juste,
avocat du barreau de Port-au-Prince a légalement déposé une
plainte de dénonciation au Parquet près le Tribunal de Première
Instance de Port-au-Prince, demandant au commissaire du
gouvernement de mettre l’action publique en mouvement contre
l’épouse du président, Sophia St-Rémy Martelly et son fils,
Olivier Martelly pour, dit-il « usurpation de titre ou fonction
et association de malfaiteur ».
Dans cette plainte datée du
16 Août 2012, il est clairement indiqué : « L’immixtion de la
première dame et de son fils dans l’administration publique dans
le but de manier les deniers publics en dehors des normes
régissant la fonction est qualifiée par l’article 217 du code
pénal d’usurpation de titre ou de fonction. L’opacité entourant
la provenance et le mode de décaissement des fonds alloués à ces
proches du président pour exécuter des activités en dehors des
règles du Droit Administratif et de comptabilité publique
enfreignent les dispositions du code pénal ».
Me. Newton
demande au commissaire du gouvernement, Me. Jean-Renel Sénatus,
dont la fougue et la détermination apparentes à combattre la
corruption dans d’autres institutions de l’Etat d’agir de même à
l’endroit de la famille présidentielle: « Je suis confiant que
le dossier va suivre son cours et que le commissaire du
gouvernement qui se présente toujours comme l’avocat de la
société mettra le même empressement que dans les cas de
corruption au Conseil Electoral de Gaillot Dorsainvil, à la
caisse d’assistance sociale (CAS) ou à l’Electricité d’Haïti »,
a-t-il précisé.
Après l’étude
de la dénonciation, le vendredi 24 Août, suite à une audition de
Me. Saint-Juste sur cette affaire, le Commissaire du
gouvernement a décidé de classer le dossier dénonciation porté
contre la famille Martelly sans suite, prétextant que Me.
Saint-Juste n’a pas de qualité pour introduire une telle action.
A cette phase
du débat, la jurisprudence s’imposant, Me. Newton Saint-Juste
s’est adressé à nouveau au commissaire du gouvernement, le 27
Août 2012 pour dénoncer la mauvaise utilisation des articles 19
et 20 du code d’inscription criminelle. « L’interprétation,
faite par le Parquet des articles 19 et 20 du code d’instruction
criminelle, selon laquelle seuls les fonctionnaires de l’Etat
sont habilités à dénoncer les infractions dont ils ont
connaissance, constitue une honte pour la communauté juridique
haïtienne et une menace (contre l’Etat de droit) adressée aux
citoyens et citoyennes dans le cadre de la défense de leurs
droits », a-t-il déploré. Faisant référence à un Arrêt de la
Cour de Cassation daté du 10 juillet 1989 dans lequel aucune
forme sacramentelle n’est prévue pour la dénonciation, il
indique ainsi clairement que : « La seule qualité requise pour
dénoncer est celle du citoyen. Il suffit seulement qu’elle soit
faite par écrit. Elle peut émaner d’une autorité publique ou
d’un simple particulier », a-t-il souligné.
De là, il faut
noter que le commissaire du gouvernement a statué sur la forme
et non sur le fond de l’affaire. Donc les accusations portées
contre la famille Martelly demeurent toujours à l’ordre du jour.
Me. Newton Saint-Juste a adressé une correspondance datée du 28
Août 2012 à l’ambassadrice des Etats-Unis en Haïti, Pamela
White, dans laquelle il a réitéré sa détermination de poursuivre
Sophia Martelly et son fils Olivier Martelly par devant la
justice étasunienne : « Des fonds du Trésor public haïtien et
des fonds de la coopération internationale, provenant
particulièrement des Etats-Unis d’Amérique, sont engagés, sinon
tout au moins programmés pour les mêmes projets. Ceci entraine
ainsi une duplication, assimilable purement et simplement à la
corruption pouvant affecter l’image de votre pays. Etant donné
que la première dame est une citoyenne américaine, elle peut
être poursuivie aussi pour des infractions commises en Haïti »,
a-t-il expliqué.
Le 21 Août
2012, dans une lettre ouverte de Me. Saint-Juste au Premier
ministre Laurent Lamothe, le dénonciateur a fait remarquer que :
« Il est notoire que les liens qui vous lient à la famille
présidentielle vous sont très chers, mais ceux qui vous lient au
Peuple haïtien dont vous dites souvent voire toujours être le
fervent serviteur, doivent l’être davantage. Dans le cas
contraire, vous serez considéré comme complice de ce crime de lèse-citoyen perpétré contre vos concitoyens. Selon l’article
159 de la Constitution le Premier ministre fait exécuter les
lois. En cette qualité, vous êtes tenu, avant qu’il ne soit trop
tard, de passer les instructions nécessaires aux ministres
concernés et impliqués en vue de clarifier pour le Pays la
qualité des gestionnaires et manieurs de ces fonds publics et le
sens de leur immixtion dans l’Ordre Politique du Pays,
nonobstant leur souche Présidentielle ».
Dans la foulée, l’ancienne première dame, Mirlande Manigat a
courageusement appuyé les démarches de Me. Newton Saint-Juste. «
Etre première dame n’est pas une fonction, c’est une situation,
un ensemble de privilèges. C’est inacceptable que la première
dame, qui n’est pas comptable de deniers publics, ait à sa
disposition des fonds de l’Etat » a-t-elle tempêté.
Quant à Olivier
Martelly, fils du président, et son conseiller en matière de la
jeunesse et des sports, madame Manigat a fait savoir que : « Ce
n’est pas seulement un scandale, c’est une faute. Ce n’est qu’un
gamin de moins de vingt-cinq ans qui gère une enveloppe de cinq
(5) millions de dollars US pour la reconstruction de parcs
sportifs à travers le pays ».
Dans un article
titré « La corruption comme toile de fond du régime Martelly
», l’auteur Harry E. Jean Philippe de la Radio Peyizan a essayé
de comparer le gaspillage des fonds de l’Etat sous le
gouvernement de la Première ministre, Michèle Duvivier
Pierre-Louis à celui de la première dame, Sophia Saint-Rémy
Martelly. Il écrit : « Il est évident que ce n'est pas le même
cas pour Sophia et Olivier Martelly qui n'ont absolument pas de
comptes à rendre à la nation. Certes, ils sont des membres de la
famille présidentielle qui ne saurait être en elle-même une
institution. En outre, le titre nominal de " la première dame de
la République", conféré à l'épouse du chef de l'Etat, n'a aucun
fondement ni dans les traditions ni dans les lois de la
République. De fait, ils ne se présenteront pas devant le
Parlement .Tant pis pour le sénateur de l'opposition, M. Moïse
Jean-Charles, qui ne pourra rien faire pour les contraindre à
délivrer un rapport relatif aux dizaines de millions de dollars
qu'ils ont à leur disposition pour des projets dits sociaux. Des
millions se volatilisent. Personne ne se présente devant la
nation pour donner des comptes! C'est le même scénario à la
C.I.R.H. qui n'a jamais eu un président désigné et approuvé par
le Parlement. Cette commission de la honte, décriée et dénoncée
avec ardeur dès sa naissance jusqu'à sa mort, a eu pour
co-présidents M. Bill Clinton et le Premier Ministre haïtien
d'alors, Mr Jean-Max Bellerive. Nul d'entre eux n'a fourni des
comptes. On ne sait pas encore comment amener Bill Clinton,
l'ancien président et l'idole des démocrates américains, sous le
radar des lois haïtiennes !
Pour sa part,
M. Bellerive a subi une bonne bastonnade dans la presse pour la
dilapidation des fonds de la Reconstruction au point qu'en
maintes occasions, il a tenté de se refaire une virginité
morale. Entre-temps, très peu ont osé associer le nom de Bill
Clinton, le véritable patron, à la corruption de la C.I.R.H.
Bien plus, le président du 14 Mai 2011, Mr Michel Joseph
Martelly, a épinglé sur la poitrine du mari d'Hillary une
médaille Honneur et Mérite au grade de Grand Officier. Dans une
société humaine, quand des individus sont autorisés à manipuler
des millions, voire des milliards de dollars, tirés du Trésor
public, sans donner des comptes devant le Parlement et à la
nation, il y a purement et simplement matière à corruption. »
Dans un résumé
de l’émission Ranmase à Radio Caraïbes FM, en juillet 2012,
l’animateur Jean Monard Metellus titrait: « Sophia Martelly
contrôle 3 ministères : une aberration à nulle autre pareille,
Arnel Bélizaire ». Ce résumé aurait très bien pu être titré,
selon lui, « Le moment de tous les excès », de l’avis du Me.
André Michel. Mais l’animateur-vedette a préféré mettre en
évidence le degré de corruption au sein de la famille
présidentielle. Il a écrit : « Le député de Delmas/Tabarre,
Arnel Bélizaire a crié au scandale devant les dérives
inacceptables du pouvoir du président Martelly et du désordre
institutionnalisé qui règne dans les finances publiques. La
principale cible du parlementaire demeure toutefois Sophia
Martelly qui règnerait en maitre et Seigneur et contrôlerait
directement trois ministères et non des moindres: La
Planification qui hériterait d'une bonne partie du budget du
ministère de l'Intérieur (conflit ouvert entre Lamothe et T.
Mayard-Paul), La Santé Publique et le ministère à la Condition
féminine que la première dame a transformé en une boite de
micro-crédit. Arnel Bélizaire a dénoncé le cynisme du pouvoir
qui a préféré mettre le cap sur l'organisation d'un deuxième
carnaval au cours de la même année alors que les policiers et
les enseignants réclament sans succès une augmentation de
salaire depuis des années ».
D’un autre
côté, le sénateur Moïse Jean-Charles dans une déclaration
étonnante a fait savoir que l’Etat fonctionne actuellement à
partir de la dette interne en utilisant les fonds de garanties
des banques commerciales de la place pour honorer certains
chèques émis. « La Nation est en danger, c’est un devoir pour
moi en tant que sénateur de la République d’informer la
population de ce qui se passe, malgré la prudence de mon
collègue, le sénateur Jocelerme Privert et mon consultant,
l’économiste, Eddy Labossière », a-t-il lancé. De plus, il dit
craindre qu’en raison de l’explosion de la dette interne, les
titulaires de comptes bancaires ne fassent les frais des folles
dépenses d’un pouvoir irresponsable et insolvable, comme les
sociétaires des coopératives financières subissent dans les
années 2002-2003.
Suite à la déclaration du
sénateur du Nord qui ne cache rien à la population, dénonçant
toujours les dérives du pouvoir KaleTèt de Martelly, le bureau
de communication de la Banque de la République d’Haïti (BRH),
sans démentir les informations du sénateur Moïse, a rendu public
le jeudi 30 Août un avis rassurant la population en général et
les déposants en particulier que le système financier haïtien se
porte en bonne santé : « Pour l’exercice en cours, il est
important de retenir qu’à date, les comptes de l’Etat à la BRH
accusent un solde positif de 2,7 milliards de gourdes. En termes
d’adéquation, le capital du système bancaire est de 10,3
milliards de gourdes au 30 juin 2012, soit un ratio de la
capitale sur actif de 6.23% bien au-dessus du minimum de 5%
requis ; Au plan de la probabilité, les banques de la place
accusent un rendement sur actif ou ROA de 1.35% au 30 juin 2012
et un rendement sur capital (ROE) de 21.69% au 30 juin 2012, le
standard international étant respectivement 1% et 20% », a fait
savoir la BRH. Au regard de ces indicateurs, la Banque de la
République d’Haïti peut se prévaloir du maintien de la stabilité
financière et monétaire propice à la croissance saine et au
développement durable », lit-on dans cette note.
Des dossiers de corruption éclaboussent la famille
présidentielle et le pouvoir KaleTèt de Martelly à un moment où
le pays est en plein imbroglio politique, notamment avec la
formation d’un Conseil Electoral contesté et la tentative du
président Martelly de domestiquer les autres pouvoirs et les
institutions indépendantes du pays. Et, ce dans l’intérêt de
l’international et de son petit clan. |