La
conversation, par téléconférence, déroulée le 20 Juin dernier
entre le président Haïtien Michel Martelly et le vice-président
Américain Joe Biden, semble avoir eu un certain impact sur le
comportement du régime « Tet Kalé ». Jusqu’ici le gouvernement
s’était toujours tu sur la question électorale. Suite à cette
conversation avec le numéro 2 Américain, l’organisation des
élections législatives partielles, municipales et locales semble
devenir brusquement une priorité pour le pouvoir. Pourtant,
c’est ce même pouvoir qui, volontairement avait omis de
rapporter dans son communiqué relatif à cette conversation que
les Etats-Unis avaient encouragé le régime à réaliser les
élections à la fin de cette année dans le pays. Quel paradoxe !
Le
régime se montre tellement préoccupé par les élections que le
chef du gouvernement multiplie les rencontres avec les membres
de l’organisme d’exception chargé d’organiser ces élections, le
Collège Transitoire du Conseil Electoral Permanent (CTCEP). En
moins d’une semaine, le premier ministère Laurent Lamothe s’est
entretenu trois (3) fois avec les conseillers électoraux et
d’autres secteurs impliqués dans l’organisation des prochaines
élections. Laurent Lamothe a même annoncé le décaissement de 300
millions d’une enveloppe totale de 600 millions de gourdes pour
la mise en branle du processus électoral. Dans des déclarations
faites en marge d’une rencontre le 24 Juin 2013, Mr. Lamothe a
laissé entendre que « les élections sont incontournables et
prioritaires pour le gouvernement.»
Il
semble avoir compris finalement que, ne pas organiser les
prochaines élections risque d’avoir des conséquences
significatives sur sa carrière politique. Dans l’entourage du
pouvoir, Laurent Lamothe est présenté comme le futur candidat à
la présidence du clan ou un des clans « Tèt Kalé ». Reste à
savoir, s’il a déjà reçu la bénédiction de son copain Michel
Martelly qui, vraisemblablement voudrait désigner son dauphin
dans l’objectif de préparer son retour au pouvoir. Rien n’est
encore joué ni pour l’un ni pour l’autre. Les élections
législatives partielles auront valeur de test pour le pouvoir en
place. Et même si le régime bénéficie encore du soutien d’un
secteur puissant de la communauté internationale, il n’a pas
droit à l’erreur. Il doit donc éviter d’organiser des élections
frauduleuses pour ne pas entrainer le pays dans une crise
électorale permanente.
Les déclarations de Joe Biden lors de cette conversation par
téléconférence qui a apporté une bouffée d’oxygène au régime
après maintes tentatives de rencontrer le chef de la maison
blanche, Barack Obama, semblent avoir donné un coup
d’accélérateur à la question électorale en Haïti. Cependant,
aucune date n’est toujours retenue pour la tenue de ces joutes
qui devaient avoir lieu depuis la fin de l’année 2011. Les
autorités gouvernementales et électorales ne parlent que de
l’organisation prochaine des élections. Le flou est total quant
à la date du scrutin. Cette attitude est très similaire à cet
écriteau que l’on voit dans les petites boutiques où il est dit,
« Pas de crédit aujourd’hui, demain oui. » En fait, il n’y aura
jamais de crédit, car à chaque jour, il y aura toujours un
demain. Quand on dit que les élections auront lieu
prochainement, même si elles tiennent dans six ou 12 mois, ce
sera toujours prochainement. Jusqu’ici, la seule petite avancée
concrète accomplie dans le cadre des préparatifs en vue de la
réalisation des prochaines élections serait l’élaboration de
l’avant-projet loi électorale qui sera transmis aux différents
secteurs du pays aux fins d’analyse avant d’être acheminée au
parlement pour
Dans tout pays qui se respecte, les élections constituent un
acte de souveraineté nationale. C’est le processus par lequel
les peuples choisissent leurs dirigeants. Depuis plusieurs
années, de nombreux secteurs dénoncent l’ingérence étrangère
dans les affaires internes du pays. Ils vont jusqu’à dénoncer la
dépendance du pays par rapport aux étrangers notamment pour le
financement du budget national et du processus électoral. Ils
estiment que les élections sont trop onéreuses et qu’il fallait
opter pour d’autres formules plus adaptées aux réalités
socioéconomiques du pays. Aussi paradoxal que cela puisse
paraitre, ce sont ces mêmes secteurs qui souhaitent que les
puissances étrangères exercent plus de pression sur le régime
Martelly/Lamothe pour l’organisation des élections à la fin de
cette année. Haïti est un pays où les paradoxes sont normaux !
C’est comme si quelques uns des secteurs ne voudraient pas
assumer leurs responsabilités vis-à-vis du peuple.
A entendre les responsables gouvernementaux et électoraux, on
aurait l’impression que les choses vont vite. Mais l’impression
seulement. Car les dirigeants haïtiens ont une réputation de
chronophage. En fait, ils savent jouer sur le temps, même quand
le temps jouerait contre eux. Ils ne se gêneront pas de faire
trainer le processus en longueur. Il faudrait être naïf
seulement pour ne pas remarquer que les autorités parlent de la
question électorale sans pourtant lancer le processus électoral
proprement dit. Ils ont déjà trouvé, sans doute, la formule qui
leur permettra de faire passer le temps pour que le processus
électoral ne bouge même pas.
C’est déjà intéressant que le CTCEP cherche à recueillir le
point de vu de différents secteurs de la vie nationale autour de
la proposition de l’avant-projet loi électorale. En raison de
son déficit de légitimité constitutionnelle, il est normal que
le CTCEP tente d’impliquer tout le monde. Il veut sans doute
s’assurer qu’à la fin, il ne soit pas le seul à être blâmé si
les choses tournent mal. N’est-ce pas intelligent ? Cependant,
une chose est certaine ; cette démarche, quoique positive,
risque aussi de faire ralentir le rythme d’un processus qui
piétine depuis près de deux ans. D’abord, le document de la
future loi électorale sera envoyé aux secteurs concernés pour
recueillir leurs avis et recommandations. Ensuite, il sera
transmis au parlement pour ratification. Les parlementaires
prendront certainement du temps pour bien analyser le texte
avant de l’entériner, Après cette étape, le document sera
acheminé à l’exécutif qui, s’il n’y fait pas d’objection, le
publiera dans le journal officiel du pays, Le Moniteur. A ce
moment, le document devient une loi.
Peu rassurés, de nombreux secteurs dont des partis politiques de
l’opposition, des organisations de la société civile et des
parlementaires continuent de dénoncer le manque de volonté de
l’exécutif pour organiser les sénatoriales partielles,
municipales et locales avant la fin de l’année. Ils disent
attendre des signaux clairs de la volonté du pouvoir sur
l’organisation des élections. Parallèlement, ils accusent le
régime en place de vouloir rendre le parlement dysfonctionnel
afin de constater sa caducité. « Ce serait un scénario
catastrophe, » a réagi un responsable de l’initiative de la
société civile, Rosny Desroches.
L’idée serait d’arriver à la mise en place d’une assemblée
constituante dont la mission serait de rédiger une nouvelle
Constitution avec toutes les conséquences qui en découlent. En
réalité, quoique ce soit anti-démocratique, si le régime Têt
Kalé veut se lancer dans cette dangereuse aventure, rien ne l’en
empêche. Le pouvoir dispose d’une majorité à la chambre et au
Sénat. Tout ce dont il aura besoin, ce sera d’obtenir de ses
supporteurs au parlement qu’ils ne se présentent lors de la
séance d’ouverture de la session ordinaire de l’année
législative du deuxième lundi de Janvier 2014. Mais, même avec
l’appui de la communauté internationale, une telle opération
risque de tourner court pour le pouvoir. On ne sait pas
exactement de quoi l’opposition et les autres secteurs organisés
du pays seront capables de provoquer en termes de troubles pour
protester contre le régime.
Déjà, l’épreuve de force s’annonce entre le pouvoir et le
parlement. L’exécutif se prépare à utiliser la loi électorale de
2009 pour constater la caducité du parlement le deuxième lundi
de Janvier. Cependant, à la chambre et au Sénat, les
parlementaires agitent le spectre de la mise en accusation du
président. Toute cette bataille se déroule sur fond d’intérêts
personnels. Le pays et la démocratie n’en tireront certainement
aucun profit. La nation est donc l’otage de politiciens qui ne
se soucient que de leurs intérêts de clan.
Parallèlement, le président du CTCEP, Emmanuel Ménard, annonce
toute une batterie d’innovations dans la loi électorale,
notamment le vote électronique, le vote des haïtiens de
l’étranger, le vote anticipé pour vieillards et les personnes à
mobilité réduites. C’est vraiment joli ! En fait, le CTCEP ne
tarit pas de promesses. Rêve ou illusion ? En ce qui a trait au
vote des haïtiens d’outre-mer, le CTCEP aura beaucoup à faire en
termes de mise en place pour que cela soit effectif. Emmanuel
Ménard n’a pas précisé qui pourra voter et comment. S’agira-t-il
d’haïtiens déjà détenteurs de cartes électorales ?
Procédera-t-on à l’émission de nouvelles cartes électorales pour
ceux qui souhaitent voter aux prochaines élections? Ceux qui ont
acquis une autre citoyenneté pourront-ils voter ? En fait le
vote des haïtiens de l’étranger tel que conçu par le CTCEP est
une équation à plusieurs inconnus.
La question du vote des haïtiens expatriés est trop importante
pour être traitée de manière superficielle. Une clause dans une
loi électorale ne suffit pas à résoudre ce problème. Le vote des
haïtiens d’outre-mer devrait être un premier pas vers leur
intégration et leur participation effectives dans la vie
politique du pays. Mais on sait que la Constitution de 1987 leur
impose certaines barrières. Aussi longtemps que les restrictions
constitutionnelles demeurent, il sera difficile pour ces
haïtiens de participer aux affaires de leur pays. Le véritable
enjeu d’une participation des compatriotes d’outre-mer est leur
inclusion et leur implication dans la gestion de la chose
publique. La principale étape vers cette intégration devra
consister à lever les barrières constitutionnelles. Cela devra
se faire par un amendement de la Constitution, notamment les
articles relatifs à la double citoyenneté. Si on ne va pas vers
l’essentiel, on risque d’orchestrer une vaste opération
démagogique.
Francklyn B. Geffrard
Floride, 25 juin 2013
Centre International d’Etudes et de Réflexions (CIER) |