Par Dr. Frantz Latour
«Il
nous a montré la lumière, nous ne retournerons jamais à
l’obscurité»
Un
citoyen vénézuélien
«Il
est parti, invaincu et invincible»
Raúl
Castro Ruz
Hugo
Rafael Chávez Frías est né le 28
juillet 1954 à Sabaneta, dans les Llanos, au sud du
Venezuela,
cette vaste plaine herbeuse qui
s'étend entre la Colombie et le Venezuela, entre les Andes et la
mer des Caraïbes le long du bassin de l'Orénoque. Les habitants
de la région des Llanos, des plaines, ont la réputation
d'être hospitaliers et aussi d'être d'excellents cavaliers.
Cette naissance llanera semble avoir marqué l’homme qui
va chevaucher le destin de son pays et celui des pays voisins,
et tenter de forger une grande Amérique latine unie, forte et
souveraine dans une perspective bolivarienne et socialiste.
Dans les veines de Chavez coule du sang à la
fois indien, espagnol et afro-vénézuélien. Celui qui des années
plus tard allait fermement s’opposer à l’empire est
l'arrière-petit-fils du rebelle Pedro Perez Delgado, plus connu
sous le nom de Maisanta, un leader rebelle toute sa vie.
Il soutint une insurrection qui, avant sa capture en 1922, mena
à la mort à la fois un ex-président vénézuélien et le gouverneur
d’un État
De
l’adolescence à l’académie militaire et au «Bolivarisme»
Chavez grandit dans un environnement familial
pauvre, dans une petite maison faite de feuilles de palmiers et
d'un sol en terre battue. Sa famille vivait dans un petit
village juste à la sortie de Sabaneta. Sa mère aurait souhaité
qu'il devienne un prêtre catholique, il servit alors comme
enfant de chœur pendant un an. L'une de ses tâches consistait à
nettoyer et à polir des statuettes représentant les saints et
Jésus. Chávez vint à s’offenser de la représentation de Jésus
comme «un idiot» alors que lui le considérait comme un « rebelle
».
Eventuellement, ses parents envoyèrent Chávez
ainsi que son frère aîné, Adán vivre chez leur grand-mère
paternelle, Rosa Inés Chávez, qui lui a appris à lire et à
écrire avant d’entrer à l’école primaire, et qui vivait aussi
dans le milieu rural de Sabaneta. Chávez en vint donc à nouer
des liens plus forts avec sa grand-mère qu'avec sa propre mère.
D’elle, il aura appris ses premières leçons d’histoire de la
patrie de Bolivar, agrémentées de contes et légendes du
terroir.
La plupart des enfants de la région dans
laquelle il grandit ne suivaient jamais d'études supérieures.
Chávez, commença par fréquenter l'école primaire Julián Pino.
Ses passe-temps étaient la peinture et le chant. Le journaliste
Luis Hernández Navarro rapporte que «l’enfant Hugo Chávez a
voyagé par le monde à travers les illustrations et les histoires
qu’il a lues dans les quatre grands et gros tomes de
l’Encyclopédie Autodidacte Quillet, cadeau de son père». Le
soir après l'école, Chávez, petit marchand ambulant, vendait des
friandises de fruits caramélisés confectionnées par sa
grand-mère. Déjà, il se colletait aux rudesses de la vie.
Adolescent, et aussi plus
tard à l’âge adulte, Chávez était particulièrement intéressé par
le baseball. L'un de ses rêves d'enfance du reste était de
devenir lanceur pour l'équipe des Giants de San
Francisco. Dès son plus jeune âge, Hugo Chávez s'intéresse à la
vie, à l'idéologie, ainsi qu'aux écrits de Simón Bolívar. Plus
tard, à Barinas, il fréquente le lycée Daniel Florencio O'Leary
School. Durant ses années au lycée, ses meilleurs amis étaient
les deux fils de Jose Ruiz, un communiste qui avait été
incarcéré par le gouvernement de la dictature militaire de
Marcos Pérez Jiménez. C'est dans la bibliothèque de la famille
Ruiz que Chávez lut ses premiers livres sur le communisme et le
socialisme.
Plus tard, à l'âge de 17 ans, Chávez rejoint l'armée
vénézuélienne en s'inscrivant en tant que cadet à la
Venezuelan Academy of Military Sciences – l'Académie
vénézuélienne des sciences militaires. Il se rappela plus tard
qu'il s'était engagé afin de pouvoir jouer dans la ligue de
baseball de l'armée. A l’Académie of Military Sciences, il lit
Marx et Bolivar, y fait des rencontres décisives, notamment un
groupe de cadets panaméens qui poussent Chavez à s'intéresser au
leader panaméen Omar Torrijos, qu'il considèrera très vite comme
un modèle. Il sera diplômé le huitième de sa classe le 5 juillet
1975, en tant que sous-lieutenant avec un diplôme militaire en
arts et sciences. C’est dans cet univers militaire que Chavez
développe une vision politique forte, organise sa pensée
politique et fonde, en 1982, le Mouvement bolivarien
révolutionnaire au sein des forces armées.
Le «Bolivarisme» de Chavez est né au confluent
de plusieurs sources politiques, militaires et intellectuelles
fécondes, particulièrement celle des idéaux de Simón Bolívar et
de Simón Rodríguez, compagnon et tuteur de Bolívar . Il faut y
ajouter l’influence de José Leonardo Chirino, un marron
précurseur du socialisme; de Pedro Camejo, militaire vénézuélien
de très grande bravoure, seul officier noir dans l’armée de
Bolivar, remarquable lancier, qui s’est battu avec «l’armée
patriote» durant la guerre d’indépendance du Venezuela; des
écrits de l'historien marxiste Federico Brito Figueroa; de
l’influence de Ezequiel Zamora, leader paysan vénézuélien,
porte-parole des paysans sans terre; de Jorge Eliécer Gaitán
(leader charismatique colombien de gauche opposé à l'oligarchie,
assassiné en 1948 alors qu’il était candidat à la présidence);
de son plus proche ami, frère, père et mentor Fidel Castro; du
grand Salvador Allende un précurseur du socialisme en Amérique
latine; et de l’illustre «guerrier héroïque», penseur, écrivain,
théoricien, stratège Che Guevara.
Début
d’un destin politique
En 1989, des milliers de pauvres protestent
contre un plan d’ajustement structurel imposé par le FMI. Le
Caracazo, la première révolte contre le néolibéralisme, à
Caracas, tourne alors à la tragédie: 3.000 morts après trois
jours d’affrontement entre les «forces de l’ordre» et la
population. A l’aube du 27 février 1989, les gens venus des
quartiers pauvres se rendant vers la ville (Caracas)
découvrirent que les tarifs avaient doublé par rapport à la
veille et commencèrent à protester spontanément. Rapidement, le
mécontentement se transforma en affrontements avec la police
militaire locale. Et les affrontements devinrent émeutes et
s’étendirent à la capitale. Cet événement, un traumatisme dans
la mémoire collective, sera un tournant dans la vie et la pensée
politique de Chavez. Il sera à l’origine, trois ans plus tard,
du soulèvement civico-militaire avorté de 1992 qu’il conduira
lui-même.
Le 4
février 1992, le MBR-200 (Mouvement révolutionnaire bolivarien
200), d'orientation socialiste, dirigé par Hugo Chávez, tente un
coup d'État contre le président Carlos Andrés Pérez accusé,
entre autres choses, d'avoir engagé l'armée dans une vague de
répressions sanglantes. Le putsch du nom de « opération Ezequiel
Zamora » échoue et Chávez est emprisonné pendant deux ans. Lors
de son séjour carcéral, il enregistre une vidéocassette dans
laquelle il appelle à l'insurrection. Elle est diffusée dans la
nuit du 26 au 27 novembre 1992, prélude à un deuxième coup
d'État préparé par le MBR-200. Cette deuxième tentative avorte
également. En 1994, Chávez est gracié par le président
nouvellement élu, Rafael Caldera.
En sortant de prison, Hugo Chavez découvre
qu'il est devenu le héros d'un peuple marginalisé, mis à l'écart
des gras bénéfices tirés des revenus de l'exploitation du
pétrole, dont le Venezuela détient les plus importantes réserves
au monde. Il promet de conquérir le pouvoir par les urnes. Il
parcourt le pays en camionnette, il est élu président, le 6
décembre 1998, avec 56% des voix, une victoire nette, face à
l'opposition menée par une oligarchie corrompue et archaïque. Il
prête serment le 2 février 1999 et annonce une «révolution
pacifique et démocratique». Il ordonne par décret la tenue d'un
référendum pour l'élection d'une assemblée constituante. Dès
lors, Hugo Chavez se consacrera à mettre en place son
Socialisme du XXIe siècle inspiré de Simon Bolivar.
Symboliquement le pays deviendra: République Bolivarienne du
Venezuela.
Le
«Socialisme du XXIème siècle»
au pouvoir
Le
30 juillet 2000, Chavez est réélu avec 59,7% des voix. Le 10
avril 2002, l'opposition et les milieux économiques encouragés
par les Etats-Unis lancent un appel à la grève générale
illimitée. Le 12 avril, des officiers supérieurs annoncent que
Chavez, accusé de la mort de onze manifestants, a démissionné.
Ils nomment à la tête d'un gouvernement de transition Pedro
Carmona, un richissime homme d'affaires. Chavez, aux arrêts,
dément avoir démissionné et dénonce un coup d'Etat. Le 13 avril,
sous l’énorme pression de manifestants chavistes, Carmona
démissionne et des militaires fidèles au président déposé
prennent le contrôle du palais Miraflores. Le 14, Chavez
effectue un retour triomphal au palais présidentiel.
Le
2 décembre 2002, des syndicalistes, dirigeants et salariés
antichavistes de la compagnie pétrolière publique PDVSA (Petróleos
de Venezuela SA), appartenant à l’État vénézuélien, se
mettent en grève. La production s'effondre. Le cinquième
exportateur mondial de pétrole est incapable d'éviter des
pénuries de carburants et de vivres. Le 2 février 2003, Chavez
mobilise l'armée pour relancer les activités de la PDVSA. La
grève s'achève.
Le 3 juin 2004, après de nombreux reports et recours, le conseil
national électoral valide une requête de l'opposition réclamant
la tenue d'un référendum "révocatoire" du mandat de Chavez. Le
15 août 2004, avec plus de 59% des voix , Chavez est confirmé au
pouvoir et sa légitimité en sort renforcée. L'opposition se
divise.
Le 3 décembre 2005, les candidats chavistes
triomphent aux élections législatives boycottées par
l'opposition. Le 3 décembre 2006, Chavez est réélu à la
présidence avec plus de 60% des voix. «C'est une nouvelle
défaite pour le diable qui veut dominer le monde»,
déclare-t-il, une flèche
évidente en direction de Washington. Le 2
février 2009, Chavez fête dix années de pouvoir sans échec
électoral, le vote populaire ayant été confirmé par tous les
observateurs internationaux comme des élections honnêtes et
crédibles, y compris la Fondation Carter.
Le 19 septembre 2012,
l’ex-Président états-unien Jimmy Carter, durant la rencontre
publique annuelle du Centre portant son nom, déclarait qu’après
avoir observé plus de 90 élections dans le monde, il était en
mesure d’affirmer que «le processus électoral au Venezuela
est le meilleur du monde», avec son système automatisé de
vote doublé d’une preuve imprimée qui facilite la vérification
des résultats. Aussi, c’est avec fierté que Chávez, revendiquant
l'héritage de Simon Bolivar, pouvait déclarer : «Il y a dix
ans, Bolivar est revenu à la vie, par et dans la volonté du
peuple».
Maladie et décès de Chavez
Au mois de juin 2011, le président Hugo Chavez,
de façon inattendue, annonce à la télévision cubaine qu'il a
subi une intervention chirurgicale pour une tumeur cancéreuse
«dans la région pelvienne», opérations suivies de séances de
chimiothérapie, à Cuba. Le 20 octobre 2011, il était rapporté
qu’à la suite d'examens, sans doute de laboratoire, à La Havane,
que Chavez était «guéri», ce qu’avait confirmé Chavez lui-même.
Une 2ème opération eu lieu en février 2012 suivie de
radiothérapie. Entre-temps il avait été réélu le 7 octobre
2012. Le 20 novembre il était à la Havane pour un traitement
par oxygénation hyperbare. Le 20 décembre 2012, Chavez était en
état de participer au sommet du Mercosur en Uruguay, son premier
déplacement politique à l'étranger depuis que son cancer avait
été diagnostiqué et traité.
Il est revenu à la Havane, fin décembre pour des
traitements apparemment liés à une ou des infections pulmonaires
nécessitant une trachéotomie. Il y a passé environ deux mois. Il
est retourné, par surprise, le 18 février à Caracas où il
semblait être en mesure de continuer ses traitements à l’hôpital
militaire. Il était question, selon le Vice Président Maduro, de
«chimiothérapie lourde». Les partisans du président Chavez
avaient accueilli la nouvelle avec grande satisfaction sinon
grande joie. Mais les nouvelles de la santé de Chavez
parvenaient au compte-goutte au public.
Le 5 mars 2013, c’est avec douleur et grande
émotion que le vice-président Maduro, au bord des larmes,
annonce au peuple vénézuélien: «Nous avons reçu l'information
la plus éprouvante et la plus tragique que nous puissions
annoncer à notre peuple. A 16h25, aujourd'hui 5 mars, est mort
notre commandant président Hugo Chavez Frias après avoir
combattu avec acharnement une maladie depuis presque deux ans»,
plongeant le pays dans la stupeur et la tristesse. Le président
Chavez s’est donc éteint à l’âge de 58 ans.
Il est difficile de se faire à l’idée qu’un
leader aussi charismatique et rassembleur de peuples que Chávez
se soit éteint à un moment où se profile déjà, grâce à sa
vision, le rêve unitaire latino-américain de Bolívar. Ils sont
des millions à travers le monde pleurant la disparition de cet
homme hors du commun, doté d’une vibrante personnalité, se
mêlant naturellement et spontanément de façon simple et chaude
au peuple. Comme nous regrettons cet débordant optimisme
créateur matérialisé à travers d’innombrables projets visant non
seulement à élever les conditions de vie des petites gens, mais
aussi à unir les peuples de l’Amérique latine en une vaste et
dynamique fédération humaine dans une perspective socialiste de
coopération et de participation équitable de leurs ressources
trop longtemps accaparées par une oligarchie égoïste, arrogante,
encore prisonnière d’une mentalité colonialiste.
En plus d’avoir amélioré les conditions de vie
de millions de vénézuéliens, de latino-américains et de gens de
la Caraïbe, Chavez a montré de façon concrète et claire que le
rêve bolivarien d’une intégration régionale forte, féconde,
libérée des chaînes d’oppression de l’empire n’est pas une
utopie. Peut en témoigner la formation d’associations régionales
anti-impérialistes dynamiques, initiatives dont Chavez a été le
créateur ou l’inspirateur. Ainsi : L’Alliance Bolivarienne pour
les Amériques (ALBA) ; la Communauté d'États latino-américains
et caraïbes (CELAC) en contrepoids à l’OEA. Hugo Chávez est «à
l’origine de la création en 2011 de cette CELAC qui regroupe
pour la première fois les 33 nations de la région, qui
s’émancipent ainsi de la tutelle des Etats-Unis et du Canada»
absents de l’organisation (Salim Lamrani). Cette Communauté
représente un trait d’union visant à renforcer la cohésion, le
rendement maximum, de meilleurs rapports économiques entre les
nations d’Amérique latine et des
Caraïbes.
Les funérailles de Chávez
Les funérailles du président Chávez certes célébrées en
grande pompe, furent atypiques à l’image du parcours du leader
de la révolution bolivarienne. S’il y a eu les gardes d’honneur
des chefs d’Etats et de gouvernements, par contre, selon
l’Humanité, «le syncrétisme a guidé le cérémonial : hommage aux
enfants du Venezuela avec la participation de personnalités du
monde de la culture et du sport, chants des Llanos qui ont vu
naître Hugo Chavez...».
Le vendredi 8 mars, Journée Internationale de la Femme, au
Venezuela, les funérailles d'Etat du président Hugo Chavez ont
eu lieu, en présence de 32 chefs d'Etat et de gouvernement
étrangers. Dans un roulement de tambour, l'Orchestre symphonique
Simon Bolivar a ouvert les funérailles d'Etat en jouant l'hymne
de la république bolivarienne vénézuélienne. M. Nicolas Maduro a
déposé sur le cercueil entièrement recouvert du drapeau jaune,
bleu et rouge étoilé du Venezuela une réplique de l'épée en or
du libérateur sud-américain Simon Bolivar, grande référence
historique du défunt ayant inspiré sa Révolution bolivarienne.
L'arme a été remise à la famille du défunt à l'issue de la
cérémonie.
Puis les chefs d'Etat et de gouvernement ont été invités par
petits groupes à former des haies d'honneur successives autour
du cercueil installé dans une chapelle ardente de circonstance à
l’Académie militaire. La première était réservée aux plus
proches alliés latino-américains, dont le Cubain Raul Castro, le
Bolivien Evo Morales et l'Equatorien Rafael Correa. Parmi les
dignitaires de la seconde haie figurait le président haïtien
Michel Joseph Martelly. La présidente brésilienne, Dilma
Rousseff, et la présidente argentine Cristina Kirchner venues
s'incliner jeudi soir devant la dépouille de Hugo Chavez,
étaient rentrées dans leurs pays avant la
cérémonie. Une messe de
funérailles a ensuite été célébrée, au cours de laquelle
l’Orchestre philarmonique du Venezuela a joué des airs
populaires traditionnels du pays. Le révérend Jesse Jackson et
l’évêque vénézuélien Marco Moronta ont clôturé cette partie
strictement religieuse en rendant hommage au charismatique
leader vénézuélien. Jackson s’est adressé au public avec des
mots de réconfort et de partage, convaincu, a-t-il déclaré, «
que la transition ordonnée va contribuer à construire une grande
nation ». Depuis
mercredi soir, les partisans de Chavez avaient envahi les places
entourant l'académie militaire où son cercueil avait été
transporté après une longue procession empreinte de ferveur dans
les rues de Caracas. En pleurs ou faisant le signe de croix,
plus de deux millions de «chavistes» vêtus de rouge, canalisés
par des barrières métalliques se sont déjà recueillis devant sa
dépouille, qui restera exposée sept jours supplémentaires afin
de permettre aux nombreux Vénézuéliens qui le souhaitent de lui
rendre un dernier hommage.
On comprend cet océan d’affection et de reconnaissance quand on
sait qu’en 14 ans au pouvoir, Hugo Chavez a ravivé la flamme de
la gauche anti-impérialiste sur le continent latino-américain;
et au Venezuela, il a forgé sa popularité parmi les couches
défavorisées, les bénéficiaires de programmes sociaux financés
par une manne pétrolière infinie, et grâce à son charisme
exubérant.
La voix du peuple
Dans la
foule des plus de 2 millions de chavistes depuis jeudi dernier,
Maribel Plazola, cette salariée de l’Etat de Miranda attend son
tour, patiemment, depuis vint-quatre heures sous un soleil
mordant. Car, il était impensable pour elle de ne pas rendre
hommage à « son » président. « Il a ressuscité l’identité du
Venezuela et redonné la vie aux pauvres», a-t-elle déclaré.
Pour nous, c’est un héros. Il est mort mais ces idées seront
toujours dans nos cœurs. Il doit reposer dans un espace digne,
au Panthéon, aux côtés des restes de Simon Bolivar». Devant
l'académie militaire, partout le long de kilomètres de défilés
pour arriver jusqu’à la chapelle ardente, les partisans de
Chavez n’arrêtent pas de scander: «Chavez n'est pas mort.
Chavez vit. La révolution continue».
«C'est à nous de poursuivre la révolution et de
faire ce que Chavez nous a demandé: soutenir Maduro»,
déclarait Trinidad Nunez, 40 ans, devant le bâtiment où repose
la dépouille du défunt président, qui porte son uniforme et son
célèbre béret rouge. Beaucoup éclatent en sanglots en arrivant
devant le cercueil. «Je lui ai dit de ne pas s'inquiéter, que
Nicolas Maduro sera bien le nouveau président comme il l'a
demandé», raconte Maria Fernandez, une infirmière de 51 ans.
Et comme une traînée de poudre se répand de bouche à oreille le
slogan magique:« Chávez, te juro que voto por Maduro»,
Chavez, je te jure que je vote pour Maduro.
La voix du peuple n’est pas seulement celle du
peuple vénézuélien, c’est aussi la voix des peuples
latino-américains, et aussi la voix des peuples opprimés de la
terre. Dans de nombreux pays, à l’échelle des gouvernemnts ou de
simples citoyens reconnaissants (étudiants, travailleurs,
syndicalistes, associations paysannes), ont eu lieu des
manifestations de solidarité pour rendre hommage à l’illustre
disparu. Signalons au hasard, les chapelles ardentes à Cuba, au
Nicaragua, en Bolivie, au Chili, à Madrid ; une messe célébrée à
Rome par le cardinal Jorge Liberato Urossa Savino à l’église
Santa Maria dei Monti ; les milliers de Cubains défilant sur la
Place de la Révolution à la Havane pour aller rendre hommage à
Chavez ; la décision prise par des habitants d’un quartier de
Chincha, une ville du Pérou, de l’appeler Barrio Hugo Chavez,
en reconnaissance de l’aide que le président vénézuélien leur
avait apportée lors d’un violent tremblement de terre en 2007;
l’hommage rendu par des milliers de Palestiniens de Gaza et de
Cisjordanie dont la mémoire se souvient car ils
n’oublient pas que Chavez avait dénoncé Israël comme un État
terroriste, «génocidaire» lors de la guerre de 22 jours contre
Gaza où plus de 1400 Palestiniens avaient été
assassinés.
Le dauphin de Chávez
Le vice-président Nicolás Maduro
qu'Hugo Chavez a désigné comme son dauphin, a été officiellement
nommé chef d'Etat par intérim après les funérailles de vendredi.
Il paraît déjà être le favori de l'élection présidentielle
censée être organisée dans un délai de 30 jours, même si des
responsables vénézuéliens évoquent un possible report en raison
de l'impréparation du pays, aussi bien sur les plans émotionnel
que logistique. Deux récents sondages donnaient
une solide avance à Maduro. Le dernier en date, réalisé
mi-février, créditait le dauphin désigné de 46,4% des voix
contre 34,3% au candidat de l'opposition Henrique Capriles,
battu lors de la présidentielle d'octobre 2012. La Cour suprême
a déclaré vendredi que Nicolas Maduro n'aurait pas besoin de
démissionner de ses fonctions pour faire campagne.
Une opposition
haineuse, hargneuse, venimeuse et déraisonnable
Le principal dirigeant de l'opposition, le
gouverneur Henrique Capriles, a affirmé que l'investiture
prévue dans la soirée du vice-président Nicolas Maduro comme
président par intérim jusqu'aux prochaines élections était «une
fraude constitutionnelle» rappelant que «personne ne l'a élu
[Nicolas Maduro]». Du reste, à quelques exceptions près,
l’opposition a boycotté la cérémonie de prestation de serment de
Maduro qui a eu lieu sous l’oeil vigilant du président du
parlement, Diosdado Cabello. A peine a-t-elle mis une sourdine à
ces propos malveillants à l’endroit de Chávez, pouvant à peine
respecter la douleur de la famille présidentielle et de la
majorité électorale.
Depuis l’arrivée de Chávez
au pouvoir, l’opposition n’a cessé de le calomnier de façon
acharnée, virulente et misérable, allant jusqu’aux injures les
plus viles et tentatives d’assassinat. A la limite on pourrait
parler de cannibalisme. Elle est grassement financée par
l’oligarchie locale et la machine à diffamer entretenue à cet
effet par des sources de financement connues telle la National
Endowment for Democracy (NED), ou occultes telle la CIA. Il
arrive que nombre de médias, stipendiés, et pas des moindres,
occasionnellement des organisations de défense des droits
humains?? et même une partie de la gauche sociale-démocrate
apportent leurs notes ténébreuses à ce concert de
diffamation.
Le peuple vénézuélien laisse aboyer les
chiens de l’impérialisme. Sa caravane révolutionnaire poursuit
sa marche ascendante consolidant les acquis du processus
bolivarien. Il se rappelle que le Commandante, lors d’un rapport
devant le parlement vénézuélien de l’action de son gouvernement
en 2011 et de son programme pour l’année en cours, avait,
calmement, lancé à une parlementaire qui l’avait interrompu et
violemment agressé verbalement: « L’aigle n’attrape pas les
mouches ». Il se rappelle aussi que Chavez disait à ses
détracteurs qui voulaient sa mort, physique: «A ceux qui me
souhaitent la mort, je leur souhaite une très longue vie pour
qu’ils continuent à voir la Révolution Bolivarienne avancer de
bataille en bataille, de victoire en victoire.» Chavez vit, le
peuple vit avec lui, en lui et pour lui. Et la lutte continue.
Pourquoi tant
de haine ?
Parce que, entre
autres choses, « à l’heure où la social-démocratie connaît une
crise d’identité en Europe, les circonstances historiques
semblent avoir confié à M. Chávez la responsabilité de prendre
la tête, à l’échelle internationale, de la réinvention de la
gauche», s’est exprimé Ignacio Ramonet. Parce que la droite
néolibérale enrage de voir qu’elle est empêtrée dans les mailles
d’un chaos économique et écologique qui menace l’humanité,
qu’elle ne peut plus même garantir à sa propre population,
européenne ou nord-américaine les droits élémentaires à la
santé, au travail, à l’éducation, au logement ni même aux droits
minima de la personne prônés par l’ordre bourgeois.
Parce que le bilan de Chávez enlève le
sommeil aux dirigeants occidentaux, surtout européens: respect
scrupuleux de la démocratie et de toutes les libertés, quoiqu’en
disent les calomniateurs; nouvelle Constitution garantissant
«l’implication populaire dans le changement social»; dignité
rendue à «quelque cinq millions de marginalisés (dont les
indigènes) dépourvus de documents d’identité»; dignité rendue du
même coup aux peuples indigènes et afro-descendants de
l’Amérique latine; reprise en main de la compagnie publique
Petróleos de Venezuela SA (PDVSA) dont les gigantesques
bénéfices allaient aux compagnies étrangères; nationalisation
des champs pétrolifères de l’Orénoque aux immenses réserves;
déprivatisation de la principale entreprise de télécommunication
du pays ainsi que la compagnie d’électricité de Caracas mises
aujourd’hui, pleinement, au service de la nation; autonomie
effective face aux institutions financières internationales,
grâce à l’utilisation d’une partie de la rente au financement de
programmes sociaux.
«Trois millions d’hectares de terre ont été distribués aux
paysans. Des millions d’adultes et d’enfants ont été
alphabétisés. Des milliers de dispensaires médicaux ont été
installés dans les quartiers populaires. Des dizaines de
milliers de personnes sans ressources, atteintes d’affections
oculaires, ont été gratuitement opérées. Les produits
alimentaires de base sont subventionnés et proposés aux plus
démunis à des prix inférieurs de 42 % à ceux du marché. La durée
de travail hebdomadaire est passée de 44 heures à 36 heures,
tandis que le salaire minimum montait à 204 euros par mois (le
plus élevé d’Amérique latine après le Costa Rica)» (Ignacio
Ramonet). Les
statistiques provenant de sources onusiennes donnent quand même
un aperçu du bilan de Chávez: Un niveau de pauvreté passé à 26%
alors qu’il était de 70%, de pauvreté extrême abaissée à 6%,
elle était de 40% avant Chávez. Aujourd’hui le baril de pétrole
se vend à plus de 100 dollars, autrefois, c’était à sept
dollars, un vol extraordinaire au détriment de la population.
Grâce à Chávez, aujourd’hui 5 millions de Colombiens ont pu
acquérir la nationalité vénézuélienne, leur conférant en même
temps une vie digne. L’analphabétisme a été réduit de presque
100% en quatorze années de gouvernement. Comme l’a suggéré un
internaute sur le net, bien des pays du tiers-monde seraient
heureux d’avoir un tel «dictateur» comme chef d’Etat.
Christianisme
et Socialisme du XXIème siècle
En adepte de
la théologie de la libération, Chávez incarnait ce que pourrait
être le futur d'une Église catholique «réformée de l'intérieur».
Combien de temps faudra-t-il pour arriver à des résultats
concrets à la dimension d’un christianisme véritablement humain?
Des années? Plusieurs siècles encore? Car depuis Constantin 1er,
l’Eglise est devenue une institution des puissants, par les
puissants et pour les puissants. Seul un socialisme chaviste ou
castriste reprenant à son compte l’amour et la charité prêchés
par le Nazaréen semble la seule voie. Car, une foi qui méprise
les aspirations universelles, fondamentales de bien-être de
l'humanité ne peut que se faire l'alliée objective des
oppresseurs. Chavez a montré la voie à la fois aux laïques et
aux religieux. A eux de la suivre en dépit de la propagande
mensongère des forces du statu quo obscurantiste.
Chavez,
conscience latino-américaine
Hugo
Chavez était l’incarnation même de la révolte. Révolte contre
une aristocratie du pouvoir et de l’argent suffisante, insolente
et arrogante. Révolte contre la confiscation de la rente
pétrolière par une infime minorité laissant à la grande majorité
des miettes de pauvreté. Révolte contre un Etat acquis au
défaitisme et générateur de misère pour le plus grand nombre.
Révolte contre la soumission à plat ventre des élites à
l’impérialisme. Révolte contre l’absence quasi totale de
sentiment national et de fierté nationaliste au sein
d’aventuriers déguisés en intellectuels, hommes de loi, hommes
d’Etat servilement soumis aux intérêts étrangers.
On ne remet pas en cause de façon significative le destin d’une
Nation, on ne peut tracer une voie authentiquement
révolutionnaire sans faire d’erreurs. Chavez assurément a fait
des erreurs . Il reste néanmoins qu’il incarnait la fierté d’un
peuple à qui il a montré et démontré qu’un autre monde était
possible. Les Vénézuéliens, les Latino-américains, les
Antillais, les peuples des pays du Sud l’ont appris et retenu.
En quatorze années de réformes hardies, Hugo Chavez a contribué
à donner aux Vénézuéliens les moyens de leur propre liberté,
car, comme ses pairs Fidel Castro, Che Guevara, Evo Morales,
Rafael Correa, Raul Castro, il a compris qu’un peuple ne peut
pas être libre quand il est tyrannisé par la misère, tétanisé
par la faim et la peur du lendemain.
Une nation n’est pas libre quand ses dirigeants
vivent “genoux ployés devant le dieu-papier à l’effigie de
Washington», à plat ventre devant l’empire qui les méprise
royalement parce qu’ils sont de vulgaires laquais à son service,
quand il ne les considère pas comme ses fils de pute. Désormais,
les Vénézuéliens sont libres. Ils devront être fidèles à
l’héritage et aux acquis d’Hugo Chavez, «préserver ses
accomplissements, poursuivre ce qui reste à accomplir, corriger
ce qui ne fut pas bien accompli». «Un
leader n’est pas la révolution. Ce sont les masses et le
processus révolutionnaire qui créent des leaders et non pas le
contraire. Toutefois, les leaders peuvent diriger la révolution
[…] Les leaders sont aussi une part importante des
révolutions quand elles sont le produit des aspirations des
masses. Chavez fut un tel leader» (Berta Joubert, Mundo
obrero).
Chavez,
l’homme, dépouillé du politique
Hugo Chavez
n’était pas seulement un remarquable animal politique, ce géant
politique qui, sans peur, a affronté le monstre impérialiste. Il
était aussi ce musicien, ce guitariste qui en pleine séance
ministérielle, ou lors d’une rencontre avec ses partisans
pouvait chanter un de ses airs favoris “Patria, patria, tuya
es mi vida, tuya es mi alma, tuyo es mi amor” (Patrie,
patrie, ma vie est pour toi, mon âme est pour toi, mon amour est
pour toi). Il était ce père de famille qui adorait ses deux
filles et trouvait du temps à leur consacrer. Il aimait beaucoup
les enfants dont il recherchait souvent la compagnie. Il avait
plein d’humour et pouvait faire rire au moment où l’on
s’attendait le moins. Il a manifesté un immense chagrin lors de
la mort du président argentin Néstor Kirchner et témoigné d’une
chaleureuse présence humaine auprès de Cristina Fernandez
Kirchner. Il faut beaucoup d’amour des autres pour être un vrai
révolutionnaire.
Le journal Haïti Liberté présente ses plus profondes
condoléances à la famille du camarade de lutte Hugo Chávez Frías,
au courageux peuple vénézuélien, au personnel des sièges
diplomatiques vénézuéliens, à la dynamique équipe de TeleSur,
tous rudement éprouvés par la perte d’un si grand leader. Il
repose déjà en paix aux côtés de son mentor politique Simón
Bolívar. Il vit et la lutte continue.
Et pour finir
cet hommage à l’exemplaire révolutionnaire que fut Chavez, nous
dédions à sa mémoire ce poème, simple, vrai et spontané, à
l’image de Chavez, glané
sur le Net au hasard de mes rencontres avec un internaute
inattendu, l’artiste musicien et poète marocain Ayssar Hassan:
Adieu l’ami!
Adieu l’ami...
Tu nous as fait réfléchir
et tu nous as fait rêver
Tu nous as fait rire aussi.
Tu as été la voix de ceux
qui ne peuvent parler,
Des opprimés, des
illettrés, des enfermés
Des favelas de Caracas
jusqu’à Gaza.
Tu as résisté aux
marchands,
À ceux qui veulent dominer
le monde,
À ceux qui veulent le
mettre à feu et à sang.
Tu as gardé la Foi.
Ton peuple te suivait et tu
suivais le Christ.
Jusqu’ici on entend les
pleurs
De ta patrie qui prie pour
toi ;
On a tous espéré que tu
allais gagner.
Avec les plus grands, Hugo
Chavez,
Ton nom restera dans
l’Histoire
Et ton sourire, dans nos
coeurs.
Sources d’information.
1.
Mort de Hugo Chavez, une vie au service du Venezuela.
Candice Bruneau. Melty Campus. 6 mars 2013.
2. Hugo Chavez, la seconde vie de Bolivar.
Cathy Ceïbe. L’Humanité.fr, 6 mars 2013.
3. El Caracazo,
Ignacio Betancourt, El Nacional, 21 février 1999.
4. El Dia en que bajaron los cerros,
Rafael Rivas-Vazquez, février 1999.
5. Le ‘‘Caracazo’’,
c’était il y a 15 ans. Frédéric Lévêque. RISAL Info. 29
février 2004.
6. Funérailles de Chavez
: «Il a ressuscité l’identité du Venezuela et redonné la vie
aux pauvres». Cathy Ceïbe, L’Humanité.fr. 8 février 2013.
7. ¡Hugo Chavez,
presente! Editor. Work World/Mundo obrero. 7 mars 2013.
8. Hugo
Chávez and the Politics of Race. Nicholas
Kozloff, Counterpunch, 17 octobre 2005.
9. Hugo Chávez Sin Uniforme
Alberto Barrera Tyszka, Cristina Marcano et Cynthia Rodriguez.
Debate, 2007.
10. The
Venezuelan Military: The Making of an Anomaly. Marta
Harnecker, venezuelanalysis.com, septembre 2003.
11. Election présidentielle au Venezuela : "des
élections propres et honnêtes ". Bady
S. Le Grand Soir, 5 octobre 2012.
12. Hugo Chavez.
Ignacio Ramonet. Le Monde diplomatique, août 2007.
13.
Don't Cry for Me, Venezuela. Alma Guillermoprieto. The New
York Review of Books, 6 octobre 2005.
14.
50 vérités sur Hugo Chávez et la
Révolution bolivarienne. Salim
LAMRANI. Opera Mundi, 8 mars 2013.
15.
Hugo Chavez, l’enfant pauvre de Sabaneta.
Luis Hernández Navarro. La Jornada, 6 mars 2013. |