Par Isabelle L. Papillon
Les festivités carnavalesques se sont déroulées
cette année au Cap-Haïtien, Nord du pays. La réalisation de
l’édition du carnaval 2013 dans la deuxième ville du pays est,
sans nul doute, une décision politique prise par le président
Martelly pour essayer de mater l’élan de mobilisation de la
population du Nord., vu que la majorité d’opposants farouches au
régime d’extrême droite kaletèt, de Martelly-Lamothe se trouvent
dans le Nord du pays. Cette année, il n’y a aucune excuse
réelle pour que ces festivités ne se déroulent à Port-au-Prince,
puisqu’il n’y a plus de gens sous les tentes au
Champ-de-Mars. La raison avancée, c’est qu’on veut décentraliser
le carnaval, quand pourtant le principe de décentralisation
introduit par la constitution haïtienne n’a jamais été respecté.
On peut citer comme exemple la non-réalisation des élections des
Collectivités territoriales et la non-mise en place des
structures de décentralisation des institutions.
En fait, cette année, l’exclusion l’emporte sur la raison, parce
que certaines villes, telles : Jacmel, Cayes, Petit-Goâve,
Pétion-ville, Delmas et Cap-Haïtien ont bénéficié des largesses
du pouvoir en place pour organiser le carnaval, tandis qu’à
Port-au-Prince, plume ne bouge et la ville est morte. Le
gouvernement Martelly-Lamothe par l’intermédiaire de son agent
intérimaire de Port-au-Prince a pris un communiqué interdisant
toutes les activités de ce genre à la capitale et ses environs
durant les trois (3) jours gras.
Le ministère de la Justice, de son côté, a lancé une mise en
garde contre tous les détracteurs du pouvoir dont leurs groupes
carnavalesques sont censurés par le président Martelly lui-même.Dans
une note datée du 10 février, Me. Jean RenelSanon, le Ministre
de la Justice et de la Sécurité Publiques, indique que
« dans le souci de préserver les acquis de l’État de Droit, il
est de notre devoir de rappeler à tout un chacun, que la
législation pénale haïtienne punit sévèrement la diffamation,
les menaces et les incitations à la violence. Ainsi, les auteurs
tant matériels qu’intellectuels de tels actes répréhensibles
tomberont-ils sous le coup des dispositions des articles 64, 313
et 321 du Code pénal haïtien, ainsi que les articles 18, 22 et
23 du Décret du 31 juillet 1986 sur la presse et la répression
des délits de presse. Le Ministère de la Justice, croit
fermement que l’intolérance et la violence sont totalement
incompatibles avec les valeurs démocratiques auxquelles nous
nous attachons tous. »
Les groupes musicaux dont les chansons traduisent fidèlement la
réalité politique, économique et sociale du pays, la mauvaise
gouvernance du régime Tètkale, la corruption qui gangrène les
institutions et l’impunité qui fait rage dans la société ont été
formellement interdits de participer au défilé carnavalesque au
Cap-Haïtien. C’est le cas des groupes : Brother’s Posse de Don
Kato, sa méringue ayant pour titre « Aloral » ; Ram de Richard
Morse, sa méringue est titrée « men bwa w » ; Kanpèch de Fredo
dont la méringue a pour titre « Nou pap ka mate l » ; Boukman
Eksperyans avec son « Pioutpiout » de Barnabe et Lòlò, ce
dernier ayant été repêché par la force des choses pour
participer enfin au défilé, mais avec beaucoup de difficultés,
puisque le premier jour des défilés il est sorti très en retard,
faute de carburant, disait-on.
Dans la foulée, un fait est certain c’est qu’un président de la
République, qui devrait être au-dessus de la mêlée, a décidé
d’exclure des groupes du défilé carnavalesque. Il a fait cette
déclaration le vendredi 8 février, deux (2) jours avant le
déroulement de la cérémonie du carnaval 2013 sur les ondes d’une
station de la capitale. « La décision d'écarter certains groupes
dont Brother’s Posse du défilé carnavalesque a été prise par
moi-même », a déclaré Michel Joseph Martelly.
Alors que pourtant, le président du comité organisateur du
Carnaval national, Gilbert Bailly a informé que cette décision a
été prise à l'issue d'un vote effectué par cette entité.Ce
comité ne donne-t-il pas raison à ceux qui l'ont qualifié de
caisse de résonnance du Palais national? Il y en a qui se sont
même montrés très acides vis-à-vis des membres dudit comité
jusqu'à les taxer de « sous-hommes et de sous-femmes », pour
s’être pliés bassement sous cette décision unilatérale et
arbitraire. S'agit-il maintenant du début du bâillonnement de la
liberté d'expression en Haïti?
L’exclusion des groupes musicaux ne fait pas bon ménage avec le
thème du carnaval 2013 : « Yon ayisyen, yon pyebwa, an n pote
kole ou istwa n se idantite n. » Par ce thème, on prétend
rassembler tous les Haïtiens dans un véritable « Konbit » de
solidarité et de fraternité, en se servant de la culture du
peuple haïtien pour le reboisement du pays et en même temps on
exclut d’autres Haïtiens,
entel pa ladan l.
Le pire c’est qu’on est même arrivé à faire des pressions sur
les sponsors de ces groupes pour qu’ils ne trouvent pas de
financement cette année. C’est une violation grave de la liberté
d’expression et une menace pour la démocratie en Haïti. Dans un
système démocratique tout le monde peut s’exprimer librement,
sans aucune forme de restriction arbitraire. Autrefois, Michel
Martelly alias Sweet-Micky s’exprimait librement dans ses
méringues carnavalesques. N’y a-t-il pas raison de dire que sous
le régime kaletèt-tètkale de Michel Martelly la démocratie a
fait marche arrière. Aucun chef d’Etat de 1986 à 2011 n’est
intervenu aussi brutalement dans les activités carnavalesques
pour censurer certains groupes qui ne font pas plaisir à
certains intérêts.
En fin, en prélude du déroulement des festivités dans le Nord du
pays, un bal des reines s’est déroulé le samedi soir au Palais
Sans Souci, à Milot avec des tenues vestimentaires rappellant la
période coloniale, alors qu’Haïti vient de commémorer le 209e
anniversaire de son indépendance, mettant ainsi fin à une
tranche d’histoire très douloureuse pour notre peuple héroïque.
Aujourd’hui, des individus qui n’ont aucun sens de l’histoire se
transforment en une caisse de résonnance des anciens colons. La
cérémonie s’est déroulée dans un décor historique rappelant la
période du dix-neuvième siècle en Haïti. Le Couple présidentiel,
des officiels du gouvernement, le Maire de Milot, des
parlementaires, des membres du comité national et ceux du comité
régional du carnaval national du Cap-Haitien et d’autres
personnalités se sont parés de costumes d’époque coloniale
conformément au protocole établi.
Selon Stéphanie BalmirVilledrouin, la Ministre du Tourisme,
cette soirée réalisée dans l’ancien Royaume du Nord, ramène le
peuple haïtien au souvenir de son histoire et à la célébration
de notre humanité retrouvée. Elle croit que cet évènement sera
bénéfique pour tout le pays et en a profité pour adresser ses
félicitations aux organisateurs d’avoir pensé à faire revivre ce
moment historique.Quel moment d’histoire ! Le moment historique
où les colons-maitres terrorisaient les esclaves- travailleurs.
Nous n’en sommes plus à cette époque, puisque le temps est
révolu à jamais. Un dicton haïtien disait : « Aprè bal tanbou
lou ». Après le carnaval le temps sera venu pour que le peuple
dise non à l’exclusion, non à l’arbitraire, non à la violation
de la liberté d’expression, non au chômage, non à la corruption,
non au mensonge.
Et, déjà au cours du deuxième jour gras, des militants de
diverses organisations du Nord, formant une bande à pied, ont
manifesté leur mécontentement vis-à-vis du gouvernement, durant
le défilé, a indiqué l’agence en ligne AlterPresse. Avec cartons
rouges en main, les manifestants ont défilé sur tout le parcours
pour dénoncer ce qu’ils appellent un « carnaval importé et
exclusiviste » imposé par le président Michel Martelly.
Selon ces protestataires, les
personnes-ressources capoises auraient été exclues de
l’organisation des festivités « importées » et le chef de l’État
a affiché une « omniprésence autoritaire ».Les autorités locales
auraient été mises à l’écart dans l’organisation du carnaval,
ont dénoncé les protestataires.Le comité départemental qui,
théoriquement devait recevoir le carnaval dit national en 2013,
n’aurait eu aucun pouvoir de décision en réalité, a expliqué un
délégué de ville: « On a fait venir des port-au-princiens au Cap
pour organiser le carnaval en dehors de la participation des
capoises et capois », s’est-il insurgé, croyant que cette
politique du pouvoir vaut un carton rouge.
Les deux ténors du
monde musical régional, Septentrional et Tropicana, auraient été
sélectionnés à cause de leur renommée nationale et
internationale, a-til fait remarquer. Les accointances auraient
joué en faveur de l’autre formation « Anbyans », selon ce qu’il
a ajouté.« On nous a imposé » des groupes qui n’ont « rien à
voir avec la culture capoise. La culture régionale d’une
population fait partie de son identité », a-t-il avancé.
Les manifestants ont critiqué également la décision de Martelly
d’exclure pour des « raisons politiques » certains groupes
musicaux du défilé carnavalesque, comme Brother’s Posse dont le
chanteur vedette, Antonio Chéramy, dit Don Kato, originaire du
département hôte du carnaval 2013. Des craintes de
manifestations, hostiles au gouvernement, ont été exprimées tout
de suite après la décision de Martelly d’exclure certains
groupes musicaux de la grande fête populaire.
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