Les soupçons de Préval quant
aux « intrus » qui veulent sa « réussite
» se sont avérés justifiés. À l’occasion
des deux tours des élections présidentielles
et législatives tenues en novembre
et en mars, Washington est agressivement
intervenu, écartant du scrutin de
ballotage Jude Célestin, le candidat du
parti de Préval, Inite (Unité), pour le
remplacer par Martelly, un chanteur de
konpa néoduvaliériste qui soutint haut
et fort les coups d’État de 1991 et 2004
contre l’ancien président Jean-Bertrand
Aristide.
À présent, les États-Unis ont
été jusqu’à contester les élections législatives
qui auraient donné à Inite
le contrôle quasi total du Parlement,
et de ce fait, l’approbation ou non du
Premier ministre désigné par le président,
le poste de l’exécutif le plus puissant
d’Haïti. Avec l’appui des É.-U., les
victoires d’Inite furent contestées dans
17 élections de députés et deux élections
sénatoriales. Le Conseil électoral
provisoire (CEP) a statué en faveur de
seulement 15 contestations, laissant
quatre sièges aux gagnants d’origine
d’Inite. Les É.-U., refusent même de
laisser passer ne serait-ce que cette légère
et relative impertinence, ôtant les
visas d’entrée aux É.-U., de six des huit
membres du CEP
Comment « l’homme indispensable
» d’Haïti est-il devenu superflu ?
Pourquoi Washington est-il si effrontément
intervenu dans les élections haïtiennes
pour limiter le pouvoir du parti de
Préval et écarter le candidat à la présidentielle
d’Inite du ballotage ?
Des indices quant à la réponse
se trouvent dans les câbles secrets de
l’ambassade des É.-U., que le groupe de
défense de la transparence WikiLeaks a
mis à la disposition d’Haïti Liberté. Les
câbles révèlent que les États-Unis ont
été principalement irrités par les rapports
qu’entretenait Préval avec Cuba
et le Venezuela, où l’ancien président
haïtien a été incapable de « s’empêcher
d’exhiber une forme d’indépendance ou
de désinvolture en transigeant avec [le
président vénézuélien Hugo] Chavez »,
de pester Sanderson dans un
câble du
2007.
L’agacement des É.-U. a débuté
lorsque Préval a signé – le jour même
de son inauguration – un accord pour
rejoindre l’alliance PetroCaribe du Venezuela,
en vertu duquel Haïti achèterait
du pétrole en ne payant dans l’immédiat
que 60 % au Venezuela avec le solde
payable sur 25 ans à 1 % d’intérêt. Les
câbles provenant de l’ambassade des
É.-U. offrent une vue prenante sur la
manière dont Washington a cherché à
décourager, torpiller et saboter l’accord
PetroCaribe, malgré ses avantages indiscutables,
accord en vertu duquel le
gouvernement haïtien « économiserait
100 millions de dollars US par année
grâce aux paiements différés », tel
que l’ambassade l’a elle-même reconnu
dans un câble du 7 juillet 2006. Une
analyse de la genèse de PetroCaribe et
la réaction de l’ambassade en la matière
offrent une piste pour comprendre
l’acharnement mis par les É.-U. à appuyer
la clique inféodée aux É.-U. de
Martelly, plutôt que la coterie à deux
faces de Préval.
Le ballon d’essai vénézuélien
abattu
Le Venezuela a d’abord offert un
accord PetroCaribe à Haïti sous le gouvernement
de facto du Premier ministre
Gérard Latortue, installé par Washington
en mars 2004 après le coup d’État
du 29 février contre Aristide. « Le gouvernement
du Venezuela avait prévu
l’envoi d’une équipe de négociation en
Haïti (le moment exact n’est pas spécifié)
pour négocier la vente de pétrole à
un taux préférentiel via PetroCaribe,
» rapportait le chargé d’affaires de
l’ambassade, Timothy Carney, dans un
câble du 19 octobre 2005. « À son retour
d’un récent voyage au Venezuela,
la ministre de la Culture et des Communications,
Magali Comeau Denis
confiait au chargé d’affaires qu’elle
rapportait du pétrole vénézuélien avec
elle en Haïti. »
Avant cette visite, Carney « et
son conseiller économique avaient
parlé avec le Premier ministre par intérim,
Henri Bazin, qui affirmait que le
gouvernement provisoire d’Haïti [GPH]
était à la recherche de conditions préférentielles
pour l’achat de pétrole du
Mexique et du Nigeria, mais pas du
Venezuela, n’a pas tardé à souligner
ce dernier, » de poursuivre Carney. «
Lors d’une conversation subséquente,
le chargé d’affaires a réitéré les aspects
négatifs d’un tel accord avec le
Venezuela. Bazin a écouté et compris
le message », que Washington verrait
d’un très mauvais oeil tout accord pour
du pétrole avec le Venezuela.
Pour s’assurer de s’être bien fait
comprendre, « le conseiller économique
a rencontré le 13 octobre un contact au
ministère des Finances, qui a confirmé
que le GPH ne prévoyait nullement
prendre part à un quelconque accord
PetroCaribe, » explique Carney. « Il a
ajouté que notre message à Bazin a eu
un effet : Bazin avait vu une ébauche
des commentaires qui devaient être
faits par le représentant d’Haïti au
FMI [Fonds monétaire international],
qui comprenait une vague référence à
l’achat de pétrole du Venezuela à des
prix préférentiels, et Bazin avait fait
supprimer la phrase, le seul changement
qu’il apporta au texte. » C’est
le genre de réponse ultra-servile que
Washington attendait d’un régime fantoche
en Haïti.
Mais Carney avait compris que le
Venezuela ne s’attendait pas vraiment
à parapher un accord avec le gouvernement
de facto de Latortue. « Nous
soupçonnons que les récents efforts du
Venezuela sont plutôt destinés à mettre
la question à l’ordre du jour, et que les
efforts plus sérieux de Chavez viendront
après les élections, lorsqu’un nouveau
gouvernement haïtien sera inauguré en
février 2006, » conclut Carney.
Dans un câble du 7 novembre
2007, Carney remarque que « le GPH
subit encore une pression pour convenir
d’un accord avec le Venezuela
» alors que « des organisations qui
ont organisé des manifestations par
le passé contre les prix élevés en Haïti
ont publiquement sommé le GPH
d’accepter l’offre du Venezuela de négocier
un accord préférentiel. » Toutefois,
Bazin rassure l’ambassade qu’«
Haïti était loin de convenir un quelconque
accord avec le Venezuela » et
que « des discussions étaient plutôt en
cours avec le gouvernement du Mexique
pour obtenir un accord spécial de
sa part pour les importations de pétrole ». (Le ministre des Affaires étrangères
dominicain, Morales Troncoso, déclara à
l’ambassadeur des É.-U. en République
dominicaine et au sous-secrétaire d’État
adjoint pour les Affaires de l’hémisphère
occidental en visite, Patrick Duddy, que
« le président du Mexique, Fox, proposait
un ‘Plan Puebla Panama’ pour
contrer le ‘PetroCaribe’ de Chavez »,
d’après un câble du 23 janvier 2006 de
l’ambassade de Santo Domingo.)
René Préval fait son entrée et les
problèmes émergent
Les élections présidentielles
d’Haïti ont dû attendre jusqu’au 7
février 2006, et elles ont été remportées
par René Préval. Même avant son
inauguration du 14 mai 2006, Préval
était manifestement soucieux d’apaiser
les inquiétudes de Washington quant
à se ranger du côté des adversaires
sud-américains. « Il souhaite, une fois
pour toutes, enterrer les soupçons dont
il fait l’objet en Haïti, à l’effet que les
États-Unis se méfient de lui, » rapporte
l’ambassadrice Sanderson, alors nouvellement
nommée, dans un câble du
26 mars 2006. « Il cherche à accroître
son statut à domicile et sur la scène
internationale par une visite réussie
aux États-Unis. » Ceci était tellement
important que « Préval a décliné des
invitations de la France, de Cuba, et du
Venezuela afin de pouvoir se rendre à
Washington en premier », fait remarquer Sanderson d’un ton approbateur.
Le nouveau président s’est donné
beaucoup de mal pour infirmer la notion
qu’il arborait quelque sympathie
politique à l’égard des régimes socialistes
d’Amérique latine. « Préval a des
liens personnels étroits avec Cuba, du
fait qu’il y a été soigné pour le cancer
de la prostate, mais il a affirmé à
l’ambassade qu’il gérerait les relations
avec Cuba et le Venezuela uniquement
pour le bénéfice du peuple haïtien et
que celles-ci ne seraient fondées sur
aucune affinité idéologique envers ces
gouvernements. »
Cependant, en avril, peu après sa
visite à Washington, Préval s’est rendu
à La Havane; le résultat confirma les
craintes de Washington. « Le président
Préval a annoncé à la presse le
18 avril qu’Haïti se joindrait bientôt
à l’initiative énergétique du président
vénézuélien Hugo Chavez, PetroCaribe,
» rapporte Sanderson dans un
câble du 19 avril 2006. « Préval a fait
cette annonce après son retour d’un
voyage de cinq jours à Cuba, où il a
discuté du sujet de PetroCaribe avec
l’ambassadeur vénézuélien à Cuba. »
Cependant, Sanderson a clairement indiqué
que l’ambassade – sa « Mission
» – n’abandonnerait pas sans se battre.
« La Mission continuera
d’exercer une pression sur Préval pour
qu’il renonce à se joindre au PetroCaribe », écrit-elle. « L’ambassadrice
rencontrera le conseiller spécial de
Préval, Bob Manuel, aujourd’hui. Lors
de réunions précédentes, il s’est montré
réceptif à nos préoccupations et est
conscient qu’un accord avec Chavez
risque de causer des problèmes avec
nous. » »
Dans un câble neuf jours plus
tard, Sanderson reconnaît que « Préval subit une pression croissante pour
apporter des changements immédiats et tangibles à la situation
désespérée d’Haïti ». Elle souligne également qu’« en
privé, Préval a exprimé aux représentants de l’ambassade un
certain dédain à l’endroit de Chavez, et a tardé à accepter
l’invitation de Chavez jusqu’à ce qu’il ait rendu visite à
Washington et à plusieurs autres partenaires clé d’Haïti.
Néanmoins, l’occasion de marquer des points politiques [avec le
peuple haïtien] et de générer des revenus sur lesquels il aurait
le contrôle s’est avérée trop belle pour la laisser passer ».
Les câbles de l’ambassade signalent
toujours « l’indépendance »
tel que celui dans lequel la possibilité
qu’a Préval « de générer des revenus
sur lesquels il aurait le contrôle » est
décriée. Sanderson émet par la suite
une mise en garde à l’effet que Préval
serait en mesure « de réaffecter les 40
% qui auraient été dépensés pour du
carburant à des projets de développement
‘présidentiels spéciaux’ » et que
« nous nous méfions de la création
d’une caisse présidentielle spéciale....
Nous encouragerons Préval à attribuer
les fonds aux programmes existants »,
c’est à dire ceux financés par l’Agence
de développement international du
Département d’État des États-Unis (USAID)
et, de ce fait, sous contrôle.
Dans un câble d’avril 2006,
Sanderson fait allusion à une remarque,
qu’elle articulera, un an plus tard, à
l’effet que « Préval et compagnie exagèrent
probablement leur aversion
pour Chavez pour nous faire plaisir,
mais Préval a toujours exprimé sa
méfiance envers Chavez lors de conversations
avec les représentants de
l’ambassade qui remontent aux premiers
stades de la campagne présidentielle
en 2005 ».
En apparence, René Préval feint
l’ignorance concernant le conflit hémisphérique
entre les États-Unis et le Venezuela.
« Un journaliste a demandé à
Préval à son retour de Caracas s’il y
aurait des ‘conséquences’ pour Haïti
du fait qu’elle tisse des liens avec le
Venezuela, que Washington perçoit de
plus en plus comme une menace dans
la région » , peut on lire dans le numéro
du 3 mai 2006 d’Haïti Progrès. «
Les problèmes entre les États-Unis et le
Venezuela sont des problèmes que ces
deux pays doivent résoudre eux-mêmes
», répondit Préval. « Ceci n’a aucune
incidence sur Haïti. »
Ceci est manifestement faux.
Dans un câble du 15 mai 2006, dans le
cadre d’un portrait d’ensemble du président
à présent inauguré, Sanderson
souligne le fait que
« malgré l’inconfort des États-Unis en regard des relations qu’il entretient
avec Cuba et le Venezuela, Préval semble déterminé à exploiter
ces relations pour ce qu’il peut en tirer ». Ce
« pragmatisme » -- le mot de Sanderson -- allait
devenir la source de l’insatisfaction des
É.-U. avec Préval.
Les grandes pétrolières s’en
prennent au PetroCaribe en Haïti
Le 14 mai 2006, aussitôt après
son inauguration, Préval convie la
presse au Palais où il signe de manière
ostensible l’accord PetroCaribe avec le
vice-président vénézuélien José Vincente
Rangel (« de toute évidence, la signature
... lors de l’inauguration le 14
mai était cérémonieuse... et la première
expédition constituait une subvention,
en sus de l’accord de prêt », écrirait par
la suite Sanderson dans un câble du 10
août 2006.)
Pourtant, près de deux années
s’écoulent avant que le pétrole de PetroCaribe
commence à couler en Haïti, à
cause d’une myriade d’obstacles politiques
et idéologiques.
Le premier obstacle était que le
Venezuela était tenu de fournir le pétrole
à une société pétrolière d’État,
qui n’existe pas en Haïti. Il a donc été
proposé que le pétrole soit confié à
Électricité d’Haïti (EDH), la compagnie
d’électricité de l’État.
Michel Guerrier, directeur de
l’unique entreprise de distribution de
pétrole haïtienne, Dinasa ou National
(qui appartient à l’homme le plus riche
d’Haïti, Gilbert Bigio), a dit à l’agent
chargé des affaires économiques qu’une
« possibilité est que PetroCaribe vende
le pétrole à Électricité d’Haïti... qui la
vendrait à son tour aux quatre entreprises
pétrolières qui ont pignon sur
rue en Haïti: Texaco, Esso (a.k.a. Exxon),
National (formellement Shell), et
[l’entreprise française] Total, » selon
un câble du 12 mai 2006. Guerrier affirmait
également que PetroCaribe
« est
une bonne affaire pour le gouvernement
haïtien » et « opinait que le gouvernement,
dans le but de garder le contrôle
absolu sur l’approvisionnement du
marché du pétrole (il en contrôle déjà
le prix), peut mettre fin aux arrivages
aux trois semaines des pétroliers ne
transportant pas du pétrole de Petro-
Caribe ».
Sanderson, naturellement,
s’opposa à cette idée, qualifiant EDH
d’« entité publique inefficace et corrompue », tout en admettant que « le
fait de faire passer le pétrole par EDH
assurerait un approvisionnement suffisant
en carburant pour alimenter
les centrales électriques, sans avoir à
compter sur les pétrolières comme un
onéreux plan B ».
Il n’est pas surprenant que les
trois pétrolières étrangères s’opposaient
également au plan du gouvernement
haïtien. Sanderson rapporte dans un
câble du 17 mai 2006 que « la Dinasa,
fournisseur de la pétrolière haïtienne,
National, est la seule voix à s’élever
en faveur de la proposition de Préval
qu’EDH contrôle l’approvisionnement
en pétrole. Les autres pétrolières internationales
s’inquiètent de plus en
plus – Texaco et Esso rencontreront
sous peu l’ambassadeur – de ce qu’elles
auront à acheter leur pétrole du gouvernement
d’Haïti ». Pour le compte
des compagnies pétrolières et contre les
avantages évidents pour Haïti, Sanderson
d’indiquer: « Nous continuerons
d’exprimer nos préoccupations quant
à l’accord PetroCaribe auprès des plus
hautes instances du gouvernement... »
Dans un câble du 1er juin, Sanderson
rapporte que « les haïtiens
on remarqué que... l’électricité s’est
améliorée à Port-au-Prince depuis
l’inauguration de Préval avec 6 à 8
heures par jour, habituellement tard
dans la nuit jusqu’à tôt le matin
dans les zones résidentielles », mais
l’ambassade a continué à s’opposer à la
livraison du pétrole vénézuélien.
Dans un câble du 7 juillet, elle
affirme que le président de Dinasa Edouard
Baussan lui a dit que « les trois
compagnies pétrolières internationales
en Haïti s’estiment mal informées sur
le plan PetroCaribe d’Haïti et se méfient
de l’incidence qu’aura PetroCaribe
sur leurs opérations ». Baussan
ne savait pas que « de son côté,
l’ambassadrice avait rencontré des
représentants d’ExxonMobil et Texaco
(détenue par Chevron) », comme l’a
expliqué Sanderson à Washington. «
Les deux entreprises étaient soucieuses
et curieuses quant à la façon
que Préval comptait mettre en oeuvre
le PetroCaribe. » Sanderson conclut en
exprimant un voeu pieux : « PetroCaribe
semble indéfiniment bloqué, et il est
possible qu’Haïti n’ira pas de l’avant
avec l’accord. Le premier et jusqu’à
présent le seul navire, qui constituait
une victoire mineure pour la campagne
caribéenne du Venezuela et un
signe concret de la part de Préval à ses
électeurs qu’il apportera des changements,
peut marquer à la fois le début
et la fin de PetroCaribe en Haïti. »
Le pétrole vénézuélien commence
à couler
Toutefois, ce n’était pas la fin,
comme l’ambassade allait rapidement
s’en rendre compte. Trois semaines
plus tard, le 28 juillet, Sanderson allait devoir écrire que
« le pétrole de PetroCaribe ... a
finalement abouti sur le marché local. Le gouvernement haïtien
est en train de vendre la cargaison au complet, y compris le
diesel (conçu au départ comme un don à l’entreprise nationale
d'électricité) et l’essence, au même prix que le pétrole d'un
navire de l’industrie [pétrolière] du 14 juillet. (Remarque :
Les expéditions de l'industrie arrivent toutes les deux à trois
semaines. Grâce aux arrivages réguliers, les compagnies
pétrolières n’ont pas connu de pénurie depuis plusieurs mois.)
Jusqu’à maintenant, Dinasa, la compagnie de pétrole nationale
d'Haïti, et Total, la compagnie pétrolière française avec qui le
gouvernement d’Haïti a des liens étroits, ont exprimé un intérêt
pour l’achat de pétrole PetroCaribe du gouvernement d’Haïti. Les
deux entreprises des É.-U., Esso (ExxonMobil) et Texaco
(Chevron), ont reçu l’offre, mais n’y ont pas donné suite. »
Trois jours plus tard, Sanderson ajoute une information
sensible mais non classifiée. « Le gouvernement d’Haïti
continue de mal interpréter les avantages réels de l’accord
PetroCaribe, » se plaint-elle de manière condescendante.
« L’ambassadrice a personnellement abordé la question de
l’accord PetroCaribe avec des représentants des plus hautes
instances du gouvernement haïtien, leur expliquant les pièges de
l’accord... Ils n'ont pas de compagnie pétrolière d’État; ils ne
disposent pas d’installations portuaires et de stockage
adéquates et doivent avoir recours à l’entreposage privé; et les
routes mal entretenues et le vol rendent le transport du port à
la destination finale difficile. La Mission a également rappelé
aux représentants du gouvernement d’Haïti que le transport du
pétrole PetroCaribe n’est pas assuré par le Venezuela, et son
transport est souvent effectué par des navires qui ne répondent
pas aux normes internationales. » Mais, avec son désir
habituel de mettre en évidence l’obligeance de Préval, elle
conclut que « finalement, le gouvernement haïtien a affirmé
que les compagnies pétrolières internationales opérant en Haïti
sont vitales pour l'économie et qu'il ne veut pas prendre le
risque de les évincer du marché local ».
Un mois plus tard, le 25 août 2006, le chargé d'affaires de
l’ambassade Thomas C. Tighe rédige un câble indiquant que le
Parlement haïtien étudiait et était susceptible de ratifier
l’accord PetroCaribe « en raison de l'avantage apparemment
énorme pour Haïti » et du fait que le « PetroCaribe donne
accès facilement à de l’argent extra ». Dans le même câble,
il fournit une information sensible mais non classifiée
indiquant que « le ministre des travaux publics Frantz
Verella a confirmé l’arrivée d’une expédition du
Venezuela de 10 000 barils d’asphalte. Le
gouvernement haïtien connait les mêmes problèmes avec l’asphalte
qu’ils ont eus avec la première cargaison de pétrole :
ils ne savent pas vraiment comment transporter l’asphalte à la
destination finale et n’ont pas d’endroit pour
l’entreposer ». Haïti, dont les routes comptent parmi les
pires dans le monde, a fini par vendre l’asphalte à la
République dominicaine, d’après un câble du 24 mai 2007.
PetroCaribe ratifié à l’unanimité
Dans un câble du 30 août 2006, Tighe indique que « le
Parlement a ratifié l’accord PetroCaribe au cours
d’une session de l’Assemblée nationale [29 août], à
laquelle prenaient part 19 sénateurs sur 27 et 47
députés sur 88. 53 ont voté pour et 13 se sont
abstenus; aucun des parlementaires n’a voté contre la
ratification ». Et d’ajouter que « parce qu'Haïti a une
demande de pétrole relativement faible – environ 11 000
barils par jour – et que le PetroCaribe a
offert de fournir jusqu’à 6 000 barils par
jour, l’accord pourrait avoir un effet considérable sur
l’industrie pétrolière en Haïti ».
Après la ratification, « les compagnies pétrolières
internationales ont été choquées » lorsque « le président
René Préval et le ministre des Finances, Daniel Dorsainvil ont
informé les quatre compagnies pétrolières opérant en Haïti de
l’intention de subvenir à 100 % à la demande de pétrole d’Haïti
grâce à son accord PetroCaribe », apprend-on dans un câble
du 4 octobre 2006. « Elles croyaient qu'elles auraient encore
le droit d'importer leur propre pétrole, avec PetroCaribe ne
fournissant qu'une partie de la demande de pétrole d'Haïti »,
explique Sanderson, et seule Dinasa « n’était pas
surprise ».
Christian Porter, en charge d’ExxonMobil pour le pays, «
parlant au nom d’ExxonMobil et de Chevron, a souligné
qu'elles (les pétrolières) ne seraient pas disposées à le
faire car elles perdraient leurs marges d’économie
d’échelle et en raison de la réputation peu fiable de
PetroCaribe » pour les livraisons ponctuelles, écrit
Sanderson. Elle en conclut qu’il s’agissait d’une «
proposition douteuse que les compagnies pétrolières des É.-U.
en Haïti – responsables d'environ 45 % des importations de
pétrole d'Haïti – ni le Venezuela, non plus, ne sont
susceptibles d’accepter. »
Elle s’est trompée à propos du Venezuela, mais a eu raison en
ce qui concerne les compagnies pétrolières. Un câble du 13
octobre explique qu’ExxonMobil et Texaco/Chevron étaient «
choquées » mais n’avaient pas « informé le gouvernement
de leurs préoccupations », ce à quoi Sanderson « a
encouragé les deux compagnies ».
Sanderson a réitéré que, malgré ses « nombreuses
tentatives pour discuter (et décourager) les intentions
du gouvernement haïtien d’aller de l’avant avec l’accord
PetroCaribe, le gouvernement d’Haïti insiste que la mise
en œuvre intégrale de l’accord représentera pour Haïti un
profit net ».
L’ambassadrice des É.-U. a également donné des détails sur la
manière dont les compagnies pétrolières, avec ses
encouragements, sabotaient l’accord : « Après la rencontre du
27 septembre de Préval avec les quatre compagnies pétrolières...
l’Association de l’industrie pétrolière (Association des
professionnels du pétrole -- APP) reçut une invitation pour
rencontrer des représentants de la compagnie pétrolière du
Venezuela qui se trouvaient en Haïti. Les quatre
compagnies ont refusé l’invitation. Par ailleurs, les
compagnies ont chacune reçu une lettre du gouvernement d’Haïti
demandant des renseignements sur l’importation et la
distribution, le 9 octobre. Jusqu'à présent,
personne n'a répondu. »
Les compagnies pétrolières se sont également plaint «
qu'une entreprise de transport cubaine, Transalba, assurerait le
transport du pétrole du Venezuela vers Haïti et, qu’en tant que
compagnies américaines, elles ne seraient pas autorisées à
travailler directement avec le navire cubain ».
Sanderson conclut le long câble du 13 octobre en rappelant
qu'elle avait souligné « le message négatif plus étendu que
l’accord PetroCaribe enverrait à la communauté
internationale [c.-à-d., Washington et ses alliés] à un
moment où le gouvernement d’Haïti essaie d’accroître les
investissements étrangers », regrettant que « le
président Préval et sa garde rapprochée sont séduits par
l’échéancier de paiement [de PetroCaribe] ».
Les compagnies pétrolières et l’ambassade des É.-U.
s’accrochent
Avec la ratification et une entreprise d'État pour recevoir
le pétrole, Préval croyait à présent tout avoir en place pour
obtenir la mise en œuvre de PetroCaribe au début de 2007. Mais
les compagnies pétrolières avaient encore des moyens de saper
l'accord.
Préval a nommé Michael Lecorps à la tête du Bureau de
monétisation pour l'aide et des programmes de développement du
gouvernement (formellement le bureau PL-480), qui s’occuperait
des affaires de PetroCaribe à la place de l’EDH. Lecorps a dit
aux compagnies pétrolières qu'elles devraient acheter le pétrole
PetroCaribe du gouvernement haïtien, mais les compagnies
pétrolières des É.-U. ont refusé. Rapidement, il y a eu
confrontation.
Lecorps, « apparemment exaspéré par le manque de
coopération de Chevron avec le gouvernement d’Haïti, a souligné
que PetroCaribe n'est plus négociable » rapporte Tighe dans
un câble du 18 janvier. Il a également appris qu’« ExxonMobil
a clairement indiqué qu’elle ne coopérerait pas non plus avec
la proposition actuelle du gouvernement d’Haïti... Le
chargé de pays de Chevron, Patryck Peru Dumesnil, a
confirmé la position anti-PetroCaribe de sa
compagnie et a dit qu’ExxonMobil, la seule autre
compagnie pétrolière des É.-U. opérant en Haïti, a
indiqué au gouvernement d’Haïti qu’elle n’importera pas de
produits PetroCaribe. »
Lecorps a indiqué à l’agent politique de l’ambassade que
Chevron « a refusé de poursuivre les discussions parce
que leurs représentants préfèrent importer leurs propres
produits pétroliers’ ».Tighe poursuit en disant que «
Lecorps était furieux ‘qu’une société pétrolière qui
contrôle seulement 30 % des produits pétroliers en
Haïti’ ait l'audace de tenter de se soustraire à une entente qui
profiterait à la population haïtienne. En fin de compte,
Lecorps a défendu sa position en faisant valoir
que les compagnies devraient vouloir ce qu’il y a de mieux pour
leurs clients locaux, et être prêtes à faire des concessions
au gouvernement à cette fin. Lecorps a souligné que le
gouvernement d’Haïti ne serait pas l’otage ‘d’attitudes
capitalistes’ à l’égard de PetroCaribe et que si
le gouvernement d’Haïti n’arrivait pas à obtenir un compromis de
la part de certaines compagnies pétrolières, les
compagnies auront peut-être à quitter Haïti. » Inutile de
dire que l’ambassade a vu cette attitude d’un mauvais œil.
Tighe a rapporté que « d’après Dumesnil, ExxonMobil
et Chevron ont dit au gouvernement d’Haïti
qu’aucune des compagnies ne pouvaient travailler à l’intérieur
du cadre proposé par le gouvernement d’Haïti pour importer 100 %
des produits pétroliers via PetroCaribe »
et qu’« ensemble, ExxonMobil et Chevron
fournissent 49 % de tous les produits pétroliers en Haïti
». Il a expliqué que « les entreprises américaines sont
solidaires dans leur opposition à la proposition actuelle »,
de son côté, l’entreprise française « Total discute de
l’accord mais ne s’est pas engagée à coopérer; et
seule l’entreprise locale, Dinasa, s’est engagée à
coopérer ».
Tighe a remarqué que Lecorps et d’autres représentants
d’Haïti « s’attardaient principalement aux bénéfices
(estimés à 100 millions par année) pour le gouvernement
haïtien, qui serviraient à des projets sociaux comme des
écoles et des hôpitaux » et qu’en discutant de
l’intransigeance des compagnies pétrolières des É.-U., «
Lecorps a perdu un peu contenance ».
Hugo Chavez fait son entrée
Dans un câble du 7 février 2007, l’ambassadrice Sanderson
rapporte que l’ambassade a appris dans les médias haïtiens le 2
février « que le président du Venezuela Hugo Chavez
prévoyait une visite en Haïti aussi tôt que la semaine
suivante ». Elle a rappelé qu’en mars 2006, avant son
inauguration, « le président Préval avait dit à
l’assistant secrétaire d’État aux Affaires hémisphérique,
Shannon, que Chavez se préparait à une visite pour
commémorer le bicentenaire du drapeau du Venezuela le 12
mars à Jacmel » mais que « Préval avait dit à
l’assistant secrétaire d’État Shannon qu’il ferait de son
mieux pour éviter Chavez… Cependant, depuis
l’inauguration de Préval, les relations entre Haïti et le
Venezuela se sont considérablement raffermies...
Les responsables haïtiens rapportent que Chavez continue de
courtiser Haïti agressivement. »
En Effet, Hugo Chavez est arrivé en Haïti le 12 mars 2007 et
a été spontanément accueilli comme un héros par des dizaines de
milliers d'Haïtiens, qui couraient à côté de son cortège de
l’aéroport au Palais. Et le président vénézuélien est arrivé
avec de nombreux cadeaux.
Tout d'abord, Chavez s’est engagé à verser une subvention de
20 millions de dollars, qu’il avait annoncée au Venezuela une
semaine plus tôt. « Selon toute vraisemblance, l’argent
servira pour un fonds de réserve pour Haïti pour appuyer des
programmes sociaux, d’infrastructure et d’approvisionnement en
énergie, » note Sanderson dans un câble du 13 mars.
Par la suite, le vice-ministre des Affaires étrangères du
Venezuela, Rodolfo Sanz, a annoncé en janvier « un don du
Venezuela de cinq camions à ordures et d’un
camion-citerne dans le cadre d’une ‘Opération air pur
pour Haïti,’ en référence aux remarques précédentes
faites par Chavez aux représentants du gouvernement d’Haïti, à
l’effet que le Venezuela avait une dette ‘historique
envers Haïti’ » note Sanderson dans son câble du 7
février. Chavez « a répété l’annonce de son don de camions à
ordures pour Haïti », rapporte Sanderson dans un câble du 13
mars.
Troisièmement, « le président du Venezuela a
dit qu’il augmenterait la quantité de carburant
qu’Haïti recevra par l’entremise de PetroCaribe de 5 000
[en réalité, 6 000] barils par jour à 14 000
barils, » poursuit Sanderson, surpassant la consommation
quotidienne de carburant d’Haïti de 11 000 barils.
Enfin, la cerise sur le gâteau : « Le Venezuela
s’est engagé à verser des fonds pour améliorer les
aéroports et les pistes d’aéroports provinciaux
(également annoncé précédemment) et à fournir des experts pour
la planification économique pour aider à identifier les
priorités en matière de développement. Les autres
engagements comprennent l’engagement cubain à
apporter une couverture médicale à toutes les communes
haïtiennes, des experts en électricité cubains et vénézuéliens
pour améliorer la production d’énergie, et un bureau de
coopération trilatérale à Port-au-Prince, » écrit Sanderson.
Étonnement, Sanderson a senti le besoin de tourner toutes ces
bonnes nouvelles à la négative. Elle l’a fait dans son «
commentaire » d’information sensible mais non classifiée à la
fin du câble : « Gabriel Verret [un ancien employé de
longue date de l’USAID et maintenant conseiller économique du
président], l’un des conseillers les plus proches de Préval,
a dit à l’ambassadrice que le voyage aurait pu être
pire. Le gouvernement haïtien a stoppé une marche qui
était censée avoir lieu en faveur de Chavez et a tenté de
limiter le temps de parole de Chavez lors de la conférence de
presse. En attendant à l'aéroport, Verret a fait
savoir à l’ambassadrice que lui et (et, semble-t-il,
le président) étaient choqués de l’arrivée tardive de Chavez.
Dans l'ensemble, la désorganisation et la planification de
dernière minute étaient évidentes, et même les promesses
d'aide et d'assistance sont soit des anciennes nouvelles ou
vagues. Les représentants du gouvernement haïtien
se sont plaints en privé par le passé à la Mission que
l’aide du Venezuela peut être un fardeau pour le gouvernement
d’Haïti... »
Mais Sanderson lâcherait son vitriol pour de bon dans son
câble suivant du 16 mars. Elle commençait à soupçonner (et
insinuer) que les Haïtiens fournissaient des rapports négatifs à
l'ambassade sur Chavez à dessein, mais elle voulait que
Washington en soit l’ultime juge. « À entendre le président
René Préval, la visite du président du Venezuela, Hugo
Chavez, le 12 mars a été un cauchemar logistique
et un désagrément pour le gouvernement haïtien ». Sanderson
entame le « résumé » de ce câble. « Préval a dit à
l’ambassadrice et à d’autres qu’il a des doutes quant aux
promesses de Chavez, surtout en ce qui concerne la
livraison de carburant par l’entremise de l’accord
PetroCaribe. Le secrétaire général de la Présidence,
Fritz Longchamp, a dit au conseiller politique que le
gouvernement haïtien percevait la visite de Chavez
comme le prix à payer pour toute assistance que le
Venezuela fournit à Haïti ».
Sanderson a mis en évidence les commentaires négatifs du
gouvernement haïtien. « Préval a dit à l’ambassadrice le soir
du 13 mars, que Chavez était un invité difficile »
et que celui-ci « n’avait pas reçu d’invitation du
gouvernement d’Haïti mais avait insisté pour venir
célébrer le Jour du drapeau du Venezuela. » Préval a
ensuite fait de son mieux pour apaiser Sanderson. « Répondant
aux observations de l’ambassadrice voulant que le fait d’offrir
à Chavez une plateforme pour débiter des slogans anti-É.-U.,
était difficile à expliquer vu nos liens étroits et notre appui
à Haïti et au gouvernement en particulier, Préval
a souligné qu’il avait fait beaucoup d’effort pour empêcher
Chavez d’épater la galerie tel que prévu », écrit Sanderson.
« Il s’est opposé à une procession/manifestation menée par
Chavez de l’aéroport vers l’ambassade du Venezuela (y
substituant une cérémonie de dépôt d'une gerbe au monument en
l’honneur de Bolivar à Port-au-Prince) et a limité la durée
de la conférence de presse. Chavez, pour sa part,
a insisté pour que la conférence de presse se déroule tel que
prévu, empiétant ainsi sur le temps de la rencontre
bilatérale. Préval a ajouté, qu’il n’était ‘qu’un
petit bourgeois indépendant’ et qu’il n’a pas le goût des
grands gestes que favorise Chavez. Haïti a
besoin de l'aide de tous ses amis, a ajouté René
Préval, et il est certain que les États-Unis comprennent
la position délicate dans laquelle il se trouve ».
Préval a ensuite abordé la manifestation de soutien massive
dont a fait l’objet Chavez. « Il a refusé de sortir de la
voiture lorsque Chavez a insisté pour saluer ses
supporters dans la rue à son entrée de l’aéroport », a
relayé Sanderson. « Préval et d’autres membres du
gouvernement croient que le chargé d’Affaires du Venezuela a
orchestré et payé pour les manifestations de militants de
Fanmi Lavalas à l’aéroport, à l’ambassade du
Venezuela, et au Palais, qui comptaient 1 000
personnes et appelaient également au retour de l’ancien
président Aristide. » (Cette version absurde, concoctée ou
non pour le bénéfice de Washington, plusieurs dirigeants
d'organisations populaires s’en sont moqué qui ont rejoint des
milliers de personnes lors du déferlement humain rapidement
organisé, largement spontané, non soudoyé, ce jour-là, semblable
à la marée humaine qui a accueilli le retour d'Aristide en Haïti
le 18 mars, 2011.)
Mais malgré les plaintes des fonctionnaires haïtiens,
Sanderson suppose que « Préval et compagnie exagèrent
probablement leur aversion envers Chavez pour nous faire plaisir...
Il est clair que la visite a laissé un mauvais goût dans la
bouche des nos interlocuteurs, et ils en sont maintenant
à limiter les dégâts ».
Sanderson s’est donc sentie obligée de passer un savon aux
Haïtiens. « L’ambassadrice et le conseiller politique
ont exprimé leurs préoccupation aux hauts
responsables, que Chavez s’était servi de sa
visite pour s’en prendre à l’allié bilatéral le plus proche et
le plus fiable d’Haïti, plus récemment avec [le
premier ministre Jacques Edouard] Alexis hier, »
écrit-elle, et pour finir, de ratiociner : « À aucun moment
Préval n’a semblé intéressé à associer Haïti
à ‘l’agenda révolutionnaire’ plus étendu de Chavez » mais
« ce n’est ni dans sa nature ni dans ses calculs de désavouer
Chavez, même lorsque le Venezuela abuse de son
hospitalité chez lui. »
Préval continue à jouer à l’« inconscient »
Malgré ses nombreux constats d'impuissance et les réprimandes
de Sanderson, Préval a continué à exaspérer les États-Unis. Le
26 avril 2007, Longchamp a dit au conseiller politique de
l’ambassade que « Préval assisterait au Sommet de l’ALBA
[Alternative bolivarienne pour les Amériques] au
Venezuela à titre ‘d’observateur spécial’ dans le
but spécifique de finaliser un accord d’aide trilatérale entre
Haïti, le Venezuela, et Cuba, par lequel le Venezuela
financerait la présence des médecins Cubains et
d’autres techniciens dans les régions rurales d’Haïti »,
écrit Sanderson dans un câble le même jour. « Longchamps
s’est dit étonné de ce que le gouvernement des États-Unis
s’offusque que Préval assiste à cette rencontre. » Longchamp
a rappelé au conseiller politique « la manière dont le
président Préval avait limité les activités de
Chavez durant la visite et comment le comportement de
Chavez avait rendu tout le monde inconfortable durant son
séjour ». Peu impressionné, « le conseiller politique a
rétorqué que cela a bien pu être le cas, mais que pour le
gouvernement des États-Unis, le résultat net a été que le
président Préval a donné à Chavez une autre plateforme d'où
attaquer les États-Unis avant de l’accompagner à l’aéroport »
et que Washington « ne comprenait pas pourquoi il
continuait à participer à des forums à l’occasion desquels
Chavez vilipendait le plus important et plus
fiable partenaire bilatéral d’Haïti. Les représentants du
gouvernement des É.-U. allaient poser cette question au
président Préval à l’occasion de son voyage à Washington
prévu pour le mois de mai. »
Sanderson dit que la rencontre devait servir «
spécifiquement à exprimer notre mécontentement en regard
du voyage au Venezuela de Préval » et que «
la réaction de Longchamp reflète probablement
l’inconscience de Préval quant à l’incidence et
aux conséquences que son accommodement avec Chavez
a sur ses relations avec nous ». Longchamps « a trahi
un trait commun au sein des responsables haïtiens à sous-estimer
l’importance relative que les décideurs de la politique des
États Unis attachent à Haïti vis-à-vis le Venezuela et à
l’influence régionale de Chavez ». Sanderson suggère que les
É.-U. transmettent « notre mécontentement,
quant aux actions de Préval, aux plus
hautes instances possibles lors de sa prochaine visite à
Washington ».
…Tout en recevant plus d’aide du Venezuela
Préval est revenu de Caracas avec des engagements de «
Chavez pour la fourniture de 160 mégawatts
d’électricité » pour Haïti, après « avoir défilé aux
côtés d’un éventail des peu recommandables dirigeants de l’ALBA
de Chavez », fulminait Sanderson dans un câble daté du 4 mai
2007.
Elle soulignait l’essence de l’ensemble de l’aide
cubano-vénézuélienne : « Les Cubains remplaceront deux
millions d’ampoules électriques à travers Port-au-Prince
avec des ampoules à faible consommation énergétique.
L'initiative coûtera quatre millions US, mais
permettra au pays d’économiser 60 mégawatts
d'électricité, qui coûtent 70 million de dollars US
annuellement. Le Venezuela s’est engagé à
restaurer la centrale électrique de Carrefour,
pour générer 40 mégawatts supplémentaires
d’électricité. En outre, le Venezuela en
décembre de cette année construira de nouvelles
centrales à travers le pays pour ajouter
30 mégawatts au réseau électrique de
Port-au-Prince et 15 mégawatts supplémentaires
pour les Gonaïves et le Cap-Haïtien
respectivement, qui seront toutes alimentées par du
mazout du Venezuela, un choix plus efficace et moins cher
que le diesel. » Le Venezuela a en effet tenu
l’ensemble de ses « promesses et engagements extravagants »
comme Sanderson les a appelés. Chavez s’est également «
engagé à bâtir un complexe pétrochimique, une usine de gaz
naturel, et une raffinerie pour raffiner le pétrole brut du
Venezuela. » Ces projets sont encore en chantier mais
presque achevés.
Le 4 mai, Sanderson a envoyé un second câble pour expliquer
que Lecorps « a donné aux quatre compagnies
pétrolières opérant en Haïti jusqu’au 1er
juillet pour signer le contrat du gouvernement d’Haïti
concernant PetroCaribe », dans l’espoir qu’ils «
signeront le contrat de plein gré, au lieu qu’il soit
nécessaire d’adopter une loi pour les contraindre à
prendre part à l’accord PetroCaribe ». Suite à des
discussions avec le directeur des ventes d’ExxonMobil aux
Caraïbes, Bill Eisner, l’ambassade a rapporté qu’Eisner « a
été choqué quand il s'est rendu compte que Lecorps attendait de
l'industrie pétrolière qu’elle coordonne l'accord PetroCaribe,
pour le compte du gouvernement d’Haïti », ce qui «
rendait l’industrie pétrolière prisonnière de deux gouvernements
incompétents » Haïti et le Venezuela, dans les termes de
Sanderson.
Entretemps, Préval continuait d’essayer de faire croire à
Sanderson que tout n’était pas si rose avec les Vénézuéliens,
envoyant cette fois le président du Sénat, Joseph Lambert, pour
faire passer la pilule. Lambert « décrit une
atmosphère ‘très tendue’ dans les coulisses du
Sommet de l’ALBA entre le président Préval et Chavez
lors d’une rencontre avec le personnel de l’ambassade le 4
mai », rapporte le responsable des Affaires publiques de
Sanderson, James Ellickson-Brown, le 7 mai. « Selon
Lambert, Préval a refusé d’adhérer à l’ALBA
et a fait savoir à Chavez que si l’adhésion à l’ALBA constituait
une condition pour recevoir l’aide du Venezuela, il
quitterait le Sommet », écrit-il. « Lambert a ajouté que
Préval et Chavez ont également eu une confrontation au
sujet du trafic de drogue, des représentations
diplomatiques, de la tenue vestimentaire pour la
cérémonie de clôture du Sommet (Chavez voulait que tout
le monde porte du rouge), et des termes de l'accord d'énergie
que Chavez a offert à Haïti ». Lambert a dit que « Préval
ne ferait jamais rien qui puisse compromettre ses relations avec
ses ‘amis du Nord’ » et que Chavez « a déploré que
pour tout ce qu’il donne à Haïti, les Haïtiens ne donnent rien
en retour. » Lambert a claironné que « le refus de
Préval de signer les accords de l’ALBA a tellement
contrarié Chavez que les Cubains ont tenté de convaincre
Préval, » mais « Préval n’a pas flanché,
n’acceptant en fin de compte que de signer un accord de
coopération ‘très général’ ».
Les Étatsuniens ont clairement pressenti que le rapport de
Lambert était un peu tortueux, incitant le conseiller politique
à demander « pourquoi Préval n’avait pas partagé ces
informations avec l’ambassadrice lors de leur rencontre
», écrit Ellickson-Brown. Lambert « a répondu que
Préval ne se sentirait pas à l’aise de révéler les
détails d’un sujet si délicat ».
Malgré les doutes de l'ambassade, Sanderson a choisi de
croire Lambert sur parole, lors de son rapport à Washington le
24 mai, juste avant le voyage de Préval là-bas, pour y
rencontrer le président Bush. Elle dit que Préval « semble
être en train de perdre patience : Lambert a dit au
responsables de l’ambassade que Préval s’est
affiché comme anti-ALBA à l’occasion de rencontres
privées avec Chavez au sommet de l’ALBA en avril,
disant à Chavez qu’il pouvait garder son aide si
l’adhésion à l’ALBA constituait une condition ». Elle a
estimé que Préval se rendait compte du fait qu’« il faut le
voir pour le croire lorsqu’il est question des promesses du
Venezuela, et les paroles de Chavez sont creuses tant qu’il ne
se présente pas argent en main ».
Cette généreuse appréciation explique peut-être pourquoi les
responsables de l’administration Bush ont été si gentils avec
leur allié rétif lors de la visite de Préval à Washington
quelques jours plus tard. « Préval était très enchanté de
l’accueil qu’il a reçu du président Bush, de la secrétaire
d’État Rice, des autres représentants du gouvernement des
É.-U.et des membres du Congrès » rapporte Sanderson dans un
câble du 29 mai, et il n’« a été ni surpris ni décontenancé
par des préoccupations du président Bush concernant les
relations haïtiano-vénézuéliennes. » Néanmoins, « la
visite de Préval semble avoir accentué, pour la délégation,
l'importance du partenariat entre Haïti et les États-Unis et
leur besoin d’entretenir de bonnes relations avec les décideurs
de Washington » a rapporté Sanderson, en exprimant «
l’espoir que le message clair du président Bush
concernant le Venezuela leur soit bien rentré dans
la tête, mais seul le temps nous le dira ».
L’« obstruction » au PetroCaribe se poursuit
Deux semaines après le retour de Préval, une grève des
transports les 12 et 13 juin 2007 « a paralysé les villes
principales d’Haïti et souligné une crise
croissante du prix du carburant, qui a augmenté de près
de 20 % en à peine deux semaines » rapporte l’agence
Interpress Service (IPS). Nombreux sont ceux qui, en Haïti,
croyaient que l’adhésion d’Haïti au PetroCaribe « allégerait
le coût élevé de l'essence » et on entendait dire que «
les deux grandes compagnies pétrolières des É.-U. qui exportent
vers Haïti font obstruction aux négociations ». L'échéance
du 1er juillet pour se conformer à PetroCaribe
approchait à grands pas.
« Les négociations entre le gouvernement d’Haïti et les
fournisseurs de carburant opérant en Haïti visant à mettre en
œuvre l’accord PetroCaribe avec le Venezuela restent au point
mort, » commence l’ambassadrice Sanderson dans un câble du
20 juillet. Les « représentants des compagnies
[pétrolières] semblent accepter que le gouvernement risque de
finalement les obliger à accepter les termes de PetroCaribe,
mais à court terme, ils semblent tenir la plupart des cartes de
négociation dans leur jeu » car « compte tenu de la
faiblesse des infrastructures d’Haïti et du système de
distribution précaire, le départ de l'une des quatre sociétés du
marché pourrait gravement perturber l'approvisionnement
d'essence dans tout le pays ».
La confrontation au sujet de PetroCaribe s’est poursuivie
pendant tout le reste de l’année 2007, Chevron se montrant la
plus réfractaire à l’idée de travailler dans le cadre de
PetroCaribe. Mais Haïti avait besoin de Chevron pour transporter
le pétrole du Venezuela.
« C'était ridicule parce qu'ils effectuaient l'achat et le
transport de produits pétroliers du Venezuela depuis 25 ans »
dit Michael Lecorps la semaine dernière quand Haïti Liberté
lui a demandé pourquoi Chevron s’était à ce point obstiné. «
Et vous savez, Chevron est une entreprise des États-Unis, alors
peut-être y a-t-il de la politique derrière, également ;
peut-être à cause du Venezuela et de Chavez. Mais ils n’ont
jamais dit quoi que ce soit à ce sujet. »
Effectivement, les câbles laissent supposer que les soupçons
de Lecorps quant à un blocage politique de Chevron sont fondés.
Après son retour en Haïti le 22 décembre 2007 d'un Sommet de
PetroCaribe, René Préval a annoncé que les négociations avec
Chevron étaient sur le point d’aboutir. « Nous allons signer
avec Chevron et puis nous allons commencer à commander du
pétrole » disait-il à l’aéroport, rapportait l’Associated
Press (AP), ajoutant que des techniciens vénézuéliens se
rendraient en Haïti en vue de consultations sur le projet. Mais
les « dirigeants de Chevron aux É.-U. ne veulent pas trop
‘ébruiter’ l’accord car ils ne veulent pas donner l’impression
d’appuyer PetroCaribe, » a expliqué Sanderson dans un câble
du 15 février 2008. L’AP a également rapporté que « les
représentants de Chevron au siège social de la compagnie à San
Ramon, en Californie, n’ont pas répondu aux demandes de
commentaires. »
Sanderson a expliqué que l’entente a été conclue lorsque «
Chevron a finalement obtenu du gouvernement haïtien les
conditions désirées » selon lesquelles, la compagnie
pétrolière de l’État vénézuélien, PDVSA, « vendra au
gouvernement haïtien, qui, lui, vendra aux commerçants de
pétrole privés, qui, en bout de ligne, vendront aux compagnies
pétrolières en Haïti pour la distribution... Chevron s’est aussi
accordé pour expédier le pétrole raffiné sur l’un de ses
pétroliers. Le gouvernement d’Haïti s’attend à recevoir une
expédition de PetroCaribe vers la fin du mois de février ou au
début du mois de mars. ».
Et les expéditions de PetroCaribe, subvenant à tout les
besoins en carburant d’Haïti, ont, en effet, débuté le 8 mars
2008, marquant une victoire pour le Venezuela et Haïti qui
avaient surmonté les obstacles dressés par l’ambassade des É.-U.
et les compagnies pétrolières.
Préval acquittait strictement ses factures de pétrole, bien
qu’il ait dû emprunter au fonds PetroCaribe suite aux événements
désastreux de septembre 2008, lorsque quatre tempêtes tropicales
ont frappé Haïti en autant de semaines. « Le sixième Sommet
PetroCaribe à Saint-Kitts, le 12 juin [2009] a félicité Haïti
comme ‘meilleur payeur’ parmi les 13 pays [de PetroCaribe],
ayant payé environ 220 millions US au Venezuela », a
rapporté Tighe dans un câble du 19 juin 2009. « En date du 30
avril, le compte PetroCaribe d’Haïti (après son emprunt de 197
million US pour ses interventions d’urgence aux ouragans de
2008), avait un solde de 58,5 millions US. Le 27 mai, le
gouvernement d’Haïti a annoncé que ses importations de carburant
PetroCaribe, depuis que la première expédition a été reçue en
mars 2008, totalisent environ 489 million US. La dette à long
terme d’Haïti, payable sur 17 à 25 ans, totalise environ 240
million US. »
Tighe a également rapporté que Chavez a renouvelé son
engagement, pris au Sommet de PetroCaribe de juillet 2008, de
construire une raffinerie de pétrole en Haïti. « Lecorps a
estimé sa capacité à 20 000 barils par jour et le coût à 400
millions US, » écrit Tighe. Il a également noté que, bien
qu’Haïti ne soit pas membre de l’ALBA, « un accord de
coopération tripartite (Haïti-Venezuela-Cuba) en matière
d’énergie est en attente d’être ratifié par le Parlement »
dont « le rôle est de décider comment 10% des sommes
découlant des revenus de PetroCaribe d’Haïti seraient attribués
aux programmes sociaux en Haïti ».
Tighe poursuit : « Lecorps a affirmé que PetroCaribe
‘...est très bon pour le pays.’ Il a noté que les centrales
financées par le Venezuela produisent de l’électricité à
Port-au-Prince [30 mégawatts], aux Gonaïves et au Cap-Haïtien
[15 mégawatts chacune] et fournissent de plus longues heures de
courant dans ces régions. Haïti reçoit des expéditions
hebdomadaires de carburant PetroCaribe... Lecorps a affirmé
qu’Haïti est satisfaite de l’accord PetroCaribe et que celui-ci
ne devrait pas être ‘politisé’. »
Mais l’accord a toujours été et demeure politisé, et Tighe a
sonné l’alerte, concluant que : « en plus des trois centrales
déjà en opération et des engagements visant la modernisation de
l’aéroport du Cap-Haïtien, le projet de raffinerie
du Venezuela... étendrait l’influence du Venezuela et de Cuba en
Haïti ».
Les lendemains d’un affrontement
Le Parlement haïtien ratifiait effectivement l’accord
tripartite entre Haïti, le Venezuela et Cuba à la fin de 2009
et, en octobre 2009, la Dinasa faisait l’acquisition des actifs
et des opérations de Chevron en Haïti, qui comprenaient 58
centres de service, le plus grand réseau de stations d’essence
du pays. Les pétroliers de la Shell acheminent maintenant le
pétrole du PDVSA du Venezuela à Haïti, indiquait Michael Lecorps
à Haïti Liberté.
Suivant les termes actuels de PetroCaribe, Haïti paie
d’entrée 40 % à 70 % de la valeur des produits pétroliers
qu’elle importe du Venezuela – asphalte, essence avec un indice
d’octane de 91 et 95, mazout, diesel et kérosène – avec le solde
de 60 % à 30 % à être payé sur 25 ans, avec une période de grâce
de deux ans, à un taux d’intérêt annuel de 1 %.
La campagne menée par l’ambassade des É.U. contre la
coopération Sud-Sud représentée par PetroCaribe – qui offre des
avantages si évidents pour Haïti – révèle l’ignoble nature et
les véritables intentions « du plus important et plus fiable
partenaire bilatéral d’Haïti » comme Sanderson se plait à
appeler les É.U.
Préval et son entourage ont utilisé une forme favorite de la
résistance des Haïtiens, qui remonte au temps de l’esclavage, et
connue sous le terme de « marronnage », où tout en feignant de
poursuivre dans une voie, c’est à l’opposé qu’on se dirige
subrepticement. Les É.-U. se sont aperçus de cette tactique et
se sont mis à douter de la fiabilité de Préval. Voilà pourquoi
Washington a manœuvré si agressivement pour voir à ce que
Martelly et sa bande d’Haïtiens/Étatsuniens ou hommes d’affaires
pro-État-Unis soient hissés au pouvoir.
Alors maintenant, on verra peut-être un changement marqué
dans la direction politique en Haïti. Au lieu de Préval, qui a
essayé de marcher sur la ligne de bataille entre Washington et
l'alliance ALBA, nous trouvons au pouvoir un résident de longue
date de Miami, pro-coup d'Etat, qui ne fait pas mystère de son
antipathie à l'égard des masses «puantes» d'Haïti, comme il les
décrit dans une vidéo YouTube.
« Nous avons été sur la mauvaise route pendant les
25 dernières années », a récemment déclaré Martelly, en
mettant le mauvais virage d'Haïti, à son avis, à peu près au
moment de la chute de la dictature de Duvalier soutenue par les
É.U. et l'émergence du mouvement nationaliste démocratique qui
est devenu connu sous le nom de Lavalas. Martelly a eu une
réunion de pré-inaugurale non pas avec le ministre des Affaires
étrangères de Venezuela, mais avec celui de la Colombie, dont il
va essayer d’imiter le plan de développement.
Sa réception par le secrétaire d'Etat Hillary Clinton, après
son élection hautement controversée et entaché de fraude, a été
extrêmement chaude.
Tout cela est de mauvais augure pour les projets cubains et
vénézuéliens en Haïti, et peut-être pour l'accord Petrocaribe,
en dépit de son immense et évidente contribution au bien-être du
peuple haïtien.